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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/51

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laissant glisser de son cheval avec légèreté ; puis, s’approchant vivement du comte :

— Si cet homme est caché là, — lui dit-elle, — il se défendra comme un désespéré ! Je vous en conjure ! pas de folle témérité !

— Ma craintive et charmante amie, — répondit le comte en riant, — tout à l’heure aussi je me suis écrié, en vous voyant prête à franchir le plus dangereux obstacle : Pas de folle témérité !… Madame, souffrez que je prenne ma revanche.

Scipion, après avoir aidé Raphaële à descendre de cheval, dit tout bas quelques mots à la jeune fille et la conduisit auprès de sa mère, qui, s’adressant au vicomte :

— Scipion, joignez-vous à moi pour empêcher votre père de commettre une si dangereuse imprudence… Vouloir aller arrêter seul ce brigand qui est peut-être caché dans cette tanière.

— C’est juste, — dit Scipion à son père en ricanant froidement, — ton dévouement est sublime, héroïque, mais seulement un peu trop… gendarme ; voyons : pas de jalousie, n’ôte pas le pain… non, le malfaiteur, de la bouche à ces braves arrête-coquin ; puisqu’il y en a près d’ici, des gendarmes, Latrace va remonter à cheval et les aller chercher.

— Avec toutes ses folies, Scipion a raison, — dit Mme Wilson au comte ; — je vous en supplie, ne vous mêlez pas de cette arrestation.

— Scipion a tort, madame, — répondit le comte avec fermeté, — le devoir de tout honnête homme est d’arrêter un criminel, quand il y a du danger surtout.

— Tais-toi donc… tu m’humilies, tu parles comme un commissaire de police dans l’embarras, — dit Scipion à son père en le poussant du coude.

L’insolent et froid persiflage de Scipion, cette fois encore, blessait doublement le comte, obligé, dans la crainte d’une scène plus désagréable peut-être, de souffrir ces sarcasmes en présence d’une femme qu’il idolâtrait, et qu’il croyait toucher par cet acte de bravoure, d’ailleurs incontestée ; mais, forcé au silence, M. Duriveau se contint encore, haussa les épaules et se dirigea résolument vers l’ouverture de la tanière.

— Mes amis, — dit alors Mme Wilson aux paysans, — n’abandonnez pas M. le comte, suivez-le… défendez-le au besoin.

Le comte Duriveau était redouté dans le pays ; l’on savait sa