Aller au contenu

Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/114

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on a pourtant gagné ceci, qu’il ne dégrade plus la route sur une grande longueur, en attaquant aujourd’hui telle partie et demain telle autre. On a resserré le champ des dévastations ; on les a concentrées en un seul point, qui forme à la vérité un mauvais passage, mais à la faveur duquel le reste de la traversée est à l’abri des eaux. — Pour fortifier la route au passage du torrent, on fait un cassis solide, pavé en gros blocs, et maintenu à l’aval par un mur de chute.

Mais sur d’autres torrents, la rapidité de l’exhaussement, ou l’instabilité du courant sont telles qu’on n’a pas même osé construire ces simples ouvrages[1] ; les eaux, divaguant dans toute leur liberté, coupent la route en des points toujours nouveaux, si toutefois on peut donner le nom de route à un misérable sentier frayé par les voitures au milieu des déjections. On se figure difficilement le pitoyable aspect de ces traversées, qui ont souvent plus d’une demi-lieue de longueur. Dans la belle saison, la voie ne se distingue au milieu du champ de ruine qu’elle traverse que par le sillon qu’y creusent les charrettes, et par la trace de quelques soins que prennent les cantonniers. Pendant l’hiver, lorsqu’un manteau uniforme de neige s’est étendu sur les montagnes et sur les vallées, et qu’il a recouvert ces vastes lits, arides et unis, où l’œil ne rencontre ni habitations, ni arbres, ni cultures, alors les vestiges du chemin disparaissent complètement ; les voitures s’égarent et tombent dans des creux. — Quand arrivent les crues, la route est noyée sous les eaux, la boue, et les cailloux ; la communication est interrompue, les voitures publiques sont forcées de s’arrêter ou de rebrousser chemin. On organise alors à la hâte des ateliers d’ouvriers ; on embrigade les cantonniers ; et lorsque les eaux ont diminué de violence, on s’occupe de rétablir la voie en déblayant les alluvions et en formant des cassis grossiers, à l’aide de buissons disposés en fascinages. Mais quelque célérité que l’on apporte à ce travail, il arrive souvent que la circulation ne peut être rétablie qu’au bout de plusieurs jours. Chaque crue nouvelle détruit ainsi la voie, et force de la rétablir à nouveaux frais, et presque toujours sur des points nouveaux. — Quand la crue est totalement terminée, le terrain se dessèche ; ce qui arrive promptement sous ce ciel dont la sérénité est à peu près constante. Alors la boue forme avec les graviers une sorte de ciment tenace, qui tient lieu d’empierrement, et

  1. Torrent de Merdanel ; — torrent de Devizet.