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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/133

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le col du Lautaret. — À mesure qu’on s’élève vers le col, en remontant la vallée de la Durance, puis celle de la Guisanne, son affluent, on voit la sérénité du ciel se troubler et les jours pluvieux devenir de plus en plus fréquents. Lorsqu’on a dépassé le col, on pénètre dans la gorge de Mallaval, creusée par la Romanche ; puis, en suivant le même cours d’eau, dans le pays appelé l’Oysans, qui fait partie du département de l’Isère. — Là, la transformation du climat est devenue complète. Les pluies sont extrêmement fréquentes ; et au lieu de tomber par averses, elles se prolongent et se fondent pour ainsi dire en bruines. Presque toujours l’air est humide et chargé de nuages. On voit les brouillards ramper sur les flancs des montagnes, s’accrocher aux aspérités des rochers » et envelopper souvent la vallée tout entière. — En un seul mot, on entre dans le climat du Nord, le même qui règne à Grenoble, et qui tranche d’une manière frappante avec celui d’Embrun, où les brouillards sont un phénomène à peu près ignoré.

De cette différence dans le climat, découlent les différences correspondantes dans l’action des torrents, et c’est sur ce point-là que j’insiste spécialement. — Les montagnes qui encaissent la vallée de la Romanche présentent dans beaucoup de parties la même nature de terrain que celles du bassin d’Embrun : c’est un calcaire ardoisé noir, remarquable par son excessive friabilité, et dont je parlerai tout à l’heure. Mais ce même terrain qui, dans l’Embrunais, est rongé par une multitude de torrents redoutables, ne montre dans l’Oysans que de rares torrents presque effacés, sans énergie, et nullement comparables aux premiers. — Dans la dernière contrée, on voit des montagnes dressées sur des talus très-rapides et couvertes de végétation sur toute leur hauteur ; quoiqu’elles soient déboisées, elles sont à peine sillonnées par quelques minces filets. Dans l’Embrunais, au contraire, dès que les forêts ont disparu des flancs d’une montagne, celle-ci devient immanquablement la proie des torrents.

Telle est l’action hygrométrique du climat. Là, où le sol est constamment baigné par une atmosphère humide, les revers se tapissent de verdure, et les torrents n’ont plus d’aliment. Ici, où l’air est toujours sec, la végétation prend avec plus de peine, et les pluies d’orages la balayent de la surface du sol à mesure qu’elle s’y fixe.

Plus tard nous verrons quelle est l’importance de la végétation dans la question des torrents ; et comme le climat de son côté agit puissamment sur la végétation, son effet doit s’étendre nécessairement jusqu’aux torrents.