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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/187

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une bien plus grande superficie de terres, avec un nombre de bestiaux beaucoup plus petit[1] ?

Il ne faut pas oublier non plus que les dévastations ne sont pas seulement le fait des troupeaux indigènes. Les troupeaux transhumants y contribuent dans une forte part. Et ceux-ci, quoiqu’ils ruinent le pays tout autant que les autres, n’y laissent pas à beaucoup près les mêmes bénéfices. Ainsi, en prohibant l’introduction des troupeaux de la Provence, on diminuerait une grande cause de ruine, sans léser beaucoup les intérêts des habitants. — Ce point-là est assez important pour que je l’examine de plus près.

Prenons les chiffres du Dévoluy, puisque cette vallée nous a déjà fourni plus d’un exemple.

Les moutons d’Arles, qui montent paître dans le Dévoluy, rapportent chaque année aux habitants 50 centimes par tête de bétail : c’est le droit de pâture pendant la durée de |a belle saison. Les moutons élevés sur place rapportent dans une année 3 francs de bénéfice de toison. De plus, ils sont engraissés et peuvent être revendus avec un bénéfice variable de 2 à 3 francs. Ainsi un mouton, élevé par les habitants eux-mêmes, leur donne par sa laine seulement six fois plus de bénéfice qu’un mouton étranger. Cela ne peut pas d’ailleurs être autrement, puisque les propriétaires des troupeaux étrangers, après avoir acquitté les droits de pâturage, doivent encore trouver de bons bénéfices : sans quoi, leur spéculation ne serait pas soutenable.

De là suit une conséquence très-claire. Si les habitants, au lieu d’attirer les bergers étrangers, élevaient des moutons à leur propre compte, ils auraient au moins les mêmes bénéfices, avec des troupeaux six fois moins nombreux. La dévastation serait donc réduite dans une forte proportion, et les revenus du pays ne seraient pas diminués.

On objectera peut-être le manque de fonds, résultant de la pauvreté du pays ? Ce n’est pas moi certainement qui viendrai contester l’état digne de pitié de la plus grande partie de la population ; mais je l’ai déjà dit plus haut, ce n’est pas cette majorité misérable qui possède des troupeaux ; c’est la classe aisée, et celle-ci ne manquerait pas d’augmenter le

  1. Il faut observer aussi que les troupeaux détruisent les forêts, les blâches, les genêts, les bruyères, etc., qui fournissent des litières aux étables, et sont autant de sources d’engrais.