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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/216

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À quoi peut-elle aboutir, si ce n’est à morceler le sol de la France en le couvrant de lambeaux disparates ; à raffiner la prospérité des départements qui sont déjà aujourd’hui riches et florissants, tandis qu’elle enfoncera plus avant dans la misère les départements pauvres ; enfin, à consacrer, entre les diverses fractions du territoire, les inégalités de bien-être, les rivalités envieuses et infécondes qui, dans nos sociétés, divisent si malheureusement les individus, fondant ainsi une nouvelle sorte d’égoïsme dans un temps où l’égoïsme se révèle déjà sous tant de formes déplorables ? Tel est l’esprit de cette loi ; tels seront ses fruits inévitables. Or, n’est-ce pas là méconnaître tout ce qu’il y a vraiment de bon, de beau et de moral dans les associations humaines ?…

La première loi de toute société est de s’entr’aider. Il faut que le faible soit couvert par la protection du fort. Il faut que les riches aident les pauvres, et que chacun ait droit au secours de tous. — Ce principe de charité est en même temps un principe suprême de politique et d’économie sociale. — Si vous immolez ceux qui ont peu à ceux qui ont beaucoup, si vous laissez ruiner un département, sur la foi de cette maxime de sauvages : « chacun pour soi… » on peut vous montrer que vous faites à la fois, et une mauvaise action, et un mauvais calcul.

Une mauvaise action, parce qu’en sacrifiant le sol, vous sacrifiez aussi les hommes qui y sont attachés. Un département, couvert de sa population, est un être vivant, qui ne peut pas se comparer au méchant lopin de terre qu’un fermier laisse en friche, dès qu’il ne rend pas tout ce qu’il coûte.

Un mauvais calcul, parce que la société ne fait pas impunément des mendiants, et que les misères qu’elle n’a su prévenir se retournent, tôt ou tard, contre elle.

C’est encore un mauvais calcul, pour une société, de conserver au milieu de son territoire un désert, quand il ne dépendrait que d’elle seule de le conquérir à la culture. Les dépenses ainsi faites n’ont qu’un temps ; les avantages qui en découlent sont immortels. — Cette remarque n’est pas sans importance, car bien peu de nos dépenses produisent de pareils résultats. Nos ouvrages les plus coûteux sont bornés dans leur durée ; ils demandent à être entretenus à grands frais, et renouvelés souvent. Mais un sol, une fois livré à la végétation, ne laisse plus jamais échapper le bienfait. — N’en voit-on pas ici même un bel exemple, dans ces riches plaines, conquises sur le lit de la Durance et des autres rivières ? Les