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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/225

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On répondra à cela que jamais l’État ne s’avisera de rectifier toutes les traversées des torrents. Mais je crois pouvoir dire, non pas qu’il s’en avisera, mais qu’il y sera contraint par le progrès naturel des choses. Chaque fois qu’un de ces passages aura été amélioré, l’incommodité de ceux qui ne le sont pas encore ressortira plus vivement. Nous ne jugeons de toutes choses que par comparaison : tel petit torrent, à travers lequel nos voitures cheminent aujourd’hui fort patiemment, prendra dans quelques années la forme d’un insupportable casse-cou, dès que les monstrueux torrents, à côté desquels il disparaît maintenant, auront été rectifiés. — N’est-ce pas là ce qui est arrivé sur toutes nos routes ? Ne sommes-nous pas rendus de jour en jour plus difficiles, en matière de communications, par l’exemple de ce que nous voyons faire aux peuples voisins, et par la vue des perfectionnements que nous avons accomplis nous-mêmes ? Les ingénieurs ne sont-ils pas occupés sans relâche à rectifier des rampes et de magnifiques alignements, que nos pères, il n’y a pas soixante ans, avaient édifiés avec un grand contentement d’eux-mêmes ? Et tant de médiocres passages, que nous hésitons à améliorer, ne seront-ils pas vraisemblablement traités plus tard, comme nous traitons aujourd’hui les routes que l’on trouvait autrefois fort commodes, alors que le gros roulage et les diligences étaient inconnus, et que tous les transports s’effectuaient par colportage, sur de petites charrettes ou à dos de mulets ?

Il existe d’ailleurs une circonstance qui peut, d’un jour à l’autre, nécessiter ici un accroissement subit de dépenses, et qu’il serait, je crois, sage de prévoir. Je veux parler du cas où les barrières, que la politique sarde élève entre la France et le Piémont, viendraient à tomber. Alors la face du département change : le mont Genèvre devient, comme au temps de la domination romaine, la principale porte de l’Italie. Alors toutes ces routes, aujourd’hui ignorées, prennent leur rang parmi les communications les plus importantes du royaume. Il suffit, pour produire cet heureux bouleversement, d’une légère variation dans la politique des cabinets ; et l’on ne dira pas, je pense, que ce soit là une chose bien rare et bien impro-

    grandes vallées, et que celles-ci sont toujours suivies par les routes. De sorte que si l’État ne voulait affecter ses fonds qu’aux seuls torrents qui menacent ses routes, il les affecterait en réalité à plus des trois-quarts des torrents du département. Ainsi la mesure qu’on voudrait borner à un cas particulier serait bien près d’être générale.