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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/253

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quent propriétaire perd son héritage pour avoir voulu contraindre le sol à produire au delà de ce que comportait sa nature. C’est le conte de la poule aux œufs d’or, trop souvent mis en pratique dans les montagnes, en dépit des enseignements mille fois répétés de l’expérience. J’en pourrais citer un exemple tout récent, dans des défrichements effectués ici sur les montagnes du Champsaur.

Ainsi le défrichement sur les terrains en pente est toujours suivi d’effets funestes, et la destruction des forêts, presque partout sans inconvénient dans les plaines, devient au contraire, dans les montagnes, la plus désastreuse des perturbations. Elle rompt l’équilibre des terres, et ressuscite les désordres de l’ancien chaos. Après avoir ravi à l’habitant l’usage des forêts, elle lui arrache jusqu’au sol même qui le nourrit, le chassant ainsi par la faim, s’il parvenait, à force d’habitude, à se résigner à la privation du bois.

Si donc, il est indispensable de proscrire quelque part les déboisement, c’est dans les montagnes. S’il est expédient de reboiser quelque part les terres, de repeupler les forêts détruites, ou d’en créer de nouvelles, c’est dans les montagnes surtout qu’il faut mettre la main à l’œuvre ; car c’est là surtout que le reboisement se présente avec des caractères frappants de nécessité.

Plus on médite cette matière, plus on se pénètre de la convenance attachée à ce boisement des montagnes. — Leur sol maigre et sec, leur âpre climat, leurs torrents, leurs tourmentes, leurs roches toujours en ruines, ne conviennent qu’à la robuste végétation des forêts, et repoussent les frêles cultures de nos vallées. L’arbre seul peut braver l’effort de tant de forces, toujours en lutte sur le sol de ces rudes régions. Seul, il peut se passer des soins de l’homme, et vous le voyez planter son tronc vigoureux sur la pointe des rochers, ou le plus vaillant montagnard n’aurait osé l’enraciner.

Les montagnes sont la patrie naturelle des forêts. C’est de leur fond qu’on tire les arbres les plus volumineux et les plus sains. Tout le monde a lu la description de ces monstrueux châtaigniers, venus sur les croupes de l’Etna ; de ce pin des Pyrénées, à qui les orbes concentriques du tronc assignaient l’âge du déluge ; de cet autre pin colossal, qui fut extrait, sous le règne de Tibère, des Alpes Juliennes, etc. Le pin, le mélèze, le sapin se plaisent à lutter contre la tourmente, à enfoncer leurs fortes racines dans les entrailles des rochers, et à dresser leur cime chargée de frimas, jusque sous les coupoles des glaciers. Ces mêmes arbres se rabougrissent