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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/254

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dans les plaines, lorsqu’à force d’art et de soins, on est parvenu à les y attirer. Les essences mêmes, à qui la plaine paraît plus spécialement dévolue, tels que le chêne, le châtaignier, le frêne, l’orme, transportés dans les montagnes, y prennent un caractère particulier de force et de dureté, qui les fait rechercher par les constructeurs. Il est bien connu que les vallées, avec leur ciel tiède et leur sol gras, n’enfantent que de médiocres bois de charpente. Ces arbres, qui croissent avec tant de célérité et de magnificence sur les rives du Mississipi, n’ont guère plus de durée ni de vigueur que notre peuplier, tandis que les sapins de la froide Norwége fournissent à la marine les matériaux les plus précieux. — Il existe, sans aucun doute, une loi d’équilibre, entre la force de la végétation et la pression du milieu, dans lequel elle se développe : c’est le principe de l’action égale à la réaction, qui se retrouve au fond de la plupart des lois naturelles. Cette rude et austère nature des montagnes en agit avec les plantes, comme la loi de Lycurgue : elle anéantit d’abord tout ce qui est infirme, et ne laisse plus debout que les sujets assez énergiquement trempés pour supporter sa rigueur.

Il suit de là que si vous appelez les forêts sur les montagnes, vous leur livrez un sol infertile, qui leur convient merveilleusement, et qui ne convient qu’à elles, au lieu que dans les plaines, vous ne pourriez les établir qu’aux dépens des cultures, et en leur sacrifiant d’utiles moissons.

Je pourrais suivre le parallèle plus loin, et faire ressortir encore beaucoup d’autres divergences.

Dans les montagnes, les forêts, en retardant la course trop rapide des eaux, les empêchent de déchirer le sol : dans les plaines, elles les empêchent de s’écouler, et engendrent par là des marais. Ainsi, de la même propriété découlent des effets directement opposés. Voilà pourquoi le déboisement des vallées et des plaines a souvent été une œuvre préalable de civilisation et d’assainissement, sans laquelle elles eussent été inhabitables. — C’est ce mariage des forêts et des marais qui rend certaines contrées du nouveau monde si meurtrières à l’homme, et qui, dans les montagnes, a fait peupler généralement les coteaux avant le fond des vallées, ainsi que l’attestent ici beaucoup d’exemples.

Dans les montagnes, les forêts étant portées jusque dans la région des nuages, il n’y a rien de surprenant qu’elles les accrochent, qu’elles les pompent, ni même qu’elles les attirent en raison de leur masse, par la somme des attractions exercées par chaque arbre. Mais cet effet serait