Aller au contenu

Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/256

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

salutaire sur les cultures environnantes, ou dans les montagnes, où le bienfait de cette influence est incontestable ? — Toutes les raisons se pressent donc pour transporter le champ des reboisements dans les montagnes : elles assignent à ces régions une destination nouvelle d’une suprême importance : — celle de fournir du bois aux vastes pays qui sont couchés à leur pied. Les montagnes deviendront les chantiers où s’approvisionneront les plaines, et elles les préserveront par là du déplorable avenir dont on les a si souvent menacées, et dont quelques parties de la Provence pourraient déjà nous donner, au besoin, une assez fidèle image.

Laissons donc les plaines se dépouiller peu à peu de leurs bois, et qu’elles continuent, comme par le passé, à nous livrer le blé et les doux fruits de leurs vergers. Elles ne sont pas faites pour cette sauvage et primitive végétation des forêts, et nous rebrousserions vers la barbarie gauloise, si nous allions contraindre leurs belles campagnes à se hérisser d’arbres stériles[1]. Mais à mesure que les forêts s’effaceront des plaines, attirons-les sur les montagnes, dont elles sont la cuirasse, en même temps que l’ornement et la décoration. Là, elles s’allient artistement avec la rudesse du sol et les durs contours de l’horizon ; leurs grandes masses, sombres et touffues, sont la draperie naturelle de ces colosses. C’est là enfin leur dernier asile contre les envahissements de la civilisation, qui les presse, qui les poursuit le soc à la main, toujours plus affamée et plus puissante ; c’est la seule place qui leur reste sur cette Terre, autrefois leur conquête, et dont le fer de l’homme les chasse aujourd’hui de toutes parts.

Au fait, n’est-ce pas à cet usage qu’ont déjà servi les montagnes, partout où la civilisation a vieilli dans la possession du sol, et surtout dans les climats ardents, où le soleil est toujours prêt à changer la terre en désert. — Lorsque les plaines sont depuis longtemps dépouillées de leurs bois ; lorsqu’usées par le trop long séjour de l’homme, écrasées sous les ruines de ses monuments, dévorées par la sécheresse, elles n’offrent plus à l’œil que le triste spectacle d’une terre désolée, on voit la fraîcheur

  1. Il est inutile de faire observer que des propositions aussi générales doivent comporter quelques exceptions. Il existe dans les plaines des parties essentiellement infécondes, et qui, à cause de cela, ne peuvent convenir qu’aux forêts : telles sont certaines parties de la Sologne, de la Bretagne, de la Champagne Pouilleuse, etc. On est conduit à admettre ces exceptions par les principes mêmes sur lesquels sont fondées les propositions générales.