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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/58

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De là vient aussi que la fonte des neiges produit une crue générale, qui fait déborder à la fois tous les grands torrents et toutes les rivières. Au contraire, les crues d’orage sont locales : tel torrent devient furieux pendant que tel autre, tout à fait voisin, demeure à sec[1]. — L’époque de la fonte des neiges est celle des plus hautes eaux dans tous les cours d’eau du département ; et pour tous, sans exception, la saison de l’étiage est vers la fin de l’automne.

Les phénomènes qui accompagnent les crues sont très-variés. On peut même dire que chaque torrent porte, dans sa façon de déborder, quelque chose qui lui est propre, et qui ne se retrouve pas chez les autres. Cela doit être ainsi, car tous les torrents n’ont pas la même distribution de pente, et ne traversent pas les mêmes terrains. On peut remarquer le même fait sur toutes les rivières, dont chacune a son régime particulier.

Tantôt la crue s’opère graduellement. Les eaux s’enflent ; claires d’abord, elles se troublent de plus en plus, et précipitent leur vitesse, en roulant des pierres, qui se heurtent avec un bruit sourd. Elles finissent enfin par se répandre au dehors de leurs berges : alors commencent les ravages et les exhaussements.

D’autres fois, on voit arriver tout à coup, à la place de l’eau, cette lave noire, décrite plus haut, et dont la progression lente n’a plus rien qui ressemble à l’écoulement des liquides.

D’autres fois enfin, le torrent tombe comme la foudre. Il s’annonce par un mugissement sourd, dans l’intérieur de la montagne ; en même temps, un vent furieux s’échappe de la gorge : ce sont les signes précurseurs. Peu d’instants après paraît le torrent, sous la forme d’une avalanche d’eau, roulant devant elle un amas de blocs entassés. Cette masse énorme forme comme un barrage mobile, et telle est la violence de l’impulsion que l’on aperçoit bondir les blocs, avant que les eaux deviennent visibles. — L’ouragan qui précède le torrent est accompagné d’effets plus surprenants encore. Il fait voler des pierres, au milieu d’un tourbillon de poussière, et l’on a vu quelquefois, sur la surface d’un lit à sec, des blocs se mettre en mouvement, comme poussés par une force surnaturelle. —

  1. Par exemple, en 1837, le Rif-Bel déborde à Guillestre avec une violence sans exemple, de mémoire d’homme. Le Chagne, tout à fait voisin, reste parfaitement calme.