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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 10, 1904.djvu/12

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LE RÉGIME MODERNE


servitude agitée sous l’arbitraire incohérent des despotismes instables, voici, pour la première fois, un ordre raisonnable et définitif, du moins un ordre raisonné, tolérable et fixe. Le Premier Consul fait ce qu’il dit, et il a dit : « La Révolution est finie[1] ».

III

Il s’agit maintenant de panser, le moins mal qu’on pourra, les grandes plaies qu’elle a faites et qui sont toujours saignantes ; car elle a taillé à fond dans le vif, et ses amputations, atroces ou stupides, ont laissé à demeure dans le corps social la douleur aiguë ou la souffrance sourde. — Cent cinquante-neuf mille noms[2] ont été inscrits sur la liste des émigrés ; aux termes de la loi, tout émigré était « mort civilement, et ses biens étaient acquis à la République » ; s’il osait rentrer en France, la même loi le condamnait à mort ; nul appel, recours ou sursis : il suffisait de constater son identité ; séance tenante, on faisait venir le peloton d’exécution. Or, au commencement du Consulat, la loi meurtrière est toujours en vigueur, la procédure sommaire est toujours applicable[3], et cent quarante-six mille noms sont encore alignés sur la liste mortuaire. Cela fait, pour la France, une perte sèche de cent quarante-six mille Fran-

  1. Proclamation aux Français, 15 décembre 1799.
  2. La Révolution, tome VIII, 117, 118 (Notes).
  3. Délibération du Conseil d’État, 5 pluviôse an VIII (25 janvier 1800).