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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 10, 1904.djvu/13

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OBJET ET MÉRITES DU SYSTÈME


çais, et non des moindres, gentilshommes, officiers de terre et de mer, parlementaires, prêtres, notables de toutes les classes, catholiques consciencieux, libéraux de 1789, feuillants de la Législative, constitutionnels de l’an III et de l’an V ; bien pis, par leur misère ou leur hostilité, ils sont, à l’étranger, un discrédit ou même un péril[1] pour la France, comme autrefois les protestants chassés par Louis XIV. — À ces cent quarante-six mille Français exilés, ajoutez-en deux ou trois cent mille autres, résidents, mais demi-proscrits[2], d’abord les proches parents et alliés de chaque émigré, exclus par la loi de « toute fonction législative, administrative, municipale, judiciaire », et même privés du droit d’élire, ensuite tous les ci-devant nobles ou anoblis, dépouillés par la loi de leur qualité de Français et obligés de se faire naturaliser à nouveau dans les formes. — C’est donc l’élite presque entière de la France ancienne qui manque à la France nouvelle, comme un organe violemment tranché, à demi détaché par le couteau inepte et brutal du boucher révolutionnaire ; il s’agit de le recoudre, et l’opération est délicate, car l’organe et le corps sont tous les deux, non seulement vivants, mais encore fiévreux et infiniment sensibles ; il importe d’éviter les irritations trop fortes ; toute inflammation serait dangereuse. Partant un bon chirurgien

  1. Forneron, Histoire générale des émigrés, II, 374. En 1800, l’armée de Condé comprenait encore 1007 officiers et 5840 volontaires.
  2. Décrets du 3 brumaire an IV et du 9 frimaire an VI. — Cf. la Révolution, tome VIII, 350 et 393.)