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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/108

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gens qui ont dîné d’un morceau de pain et de fromage, mais qui ont des gants frais et semblent sortir de chez Dusautoy. La règle universelle est que plus un homme songe aux femmes, mieux il s’habille.

Beaucoup d’entre eux ont une tête comme celles du Corrége, un air tranquillement voluptueux, un sourire continu de sécurité heureuse. Cela est bien aimable et fait comprendre leur espèce d’amour. Quand ils parlent à une femme, ce sourire devient alors plus engageant et plus tendre : rien de piquant ni de pétulant à la française ; ils ont l’air ravi, ils semblent savourer délicieusement une à une, comme des gouttes de miel, les paroles qui vont tomber de sa bouche. Les petites chansons populaires, la musique nationale, l’opéra de Cimarosa expriment le même sentiment.

Dans le peuple, toute jeune fille de quinze ans a un amoureux ; tout jeune homme de dix-sept ans est amoureux, et les passions sont très-fortes et très-durables. Tous deux pensent au mariage, et l’attendent aussi longtemps qu’il le faut, c’est-à-dire jusqu’à ce que l’amoureux ait pu acheter la pièce principale du mobilier, un lit immense et carré. Notez qu’il ne vit pas en trappiste pendant l’intervalle. Nulle population n’est plus adonnée au plaisir, plus précoce ; dès treize ans, un enfant est un homme.

La jeune fille est à sa fenêtre, le jeune homme passe, repasse, se tient sous les portes cochères, ils se font des signes. Dans la rue où j’habite est une certaine fenêtre, demi-ouverte ; l’amant en voiture monte et redescend la rue trente fois de suite dans l’après-midi, puis va se promener à la Villa-Reale. Tous pouvez sans inconvénient demander à une jeune fille si elle a un amoureux.