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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/109

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« Certes oui : autrement il faudrait que je sois bien laide ou bien antipathique. — Mais l’aimez-vous ? — Certainement ; vous croyez donc que je n’ai pas de cœur ? »

J’ai vu hier la peinture exacte de ces mœurs au petit théâtre populaire de San-Carlino. Les deux amoureuses sont deux vraies grisettes de Naples, l’une piquante, l’autre grassota, toutes deux vulgaires, appétissantes et « fortes en gueule, » assourdissantes d’injures quand elles se prennent de bec. Au milieu de ces façons populaires, l’amour fleurit, comme une rose parmi des tessons et des pots cassés. On n’imagine pas un plus beau sourire que celui d’Annarella, lorsqu’à la fin elle accepte Andrea. Ses belles dents, ses lèvres entr’ouvertes, ses grands yeux pleins d’une complaisance tendre et d’une félicité expansive, tout son être s’épanouit ; elle n’a ni finesse ni pruderie, comme en France ; elle ne minaude pas. Il lui baise la main, et pourtant ce n’est qu’un demi-bourgeois, presque un homme du peuple, mais il l’aime depuis trois ans. Beau geste aussitôt après, familier et tendre : il lui met la main sur les cheveux pour relever une boucle.

Impossible aux gens d’ici de penser à autre chose ; c’est l’idée dominante, elle est suggérée par le climat et le pays. Cela se comprend, bien mieux cela se sent dès qu’on passe une heure sur cette mer. De la barque, en allant vers Pausilippe, on voit les villas, les palais descendre jusque dans l’eau luisante : quelques-uns ont des soubassements où le flot entre. Les jardins s’abaissent par étages, avec des oliviers, des orangers, des figuiers d’Inde, des chevelures d’herbes grimpantes qui revêtent la nudité de la roche. Dans les hauteurs, les