Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/139

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mune. La grandeur et la beauté y sont rares comme partout ; mais presque tous les objets sont dignes d’être peints et vous tirent de la petite vie régulière et bourgeoise.

D’abord elle est sur des collines, ce qui donne aux rues une diversité, un caractère. Selon la pente, le ciel est coupé diversement par les files des maisons.

Ensuite quantité de choses indiquent la force, même aux dépens du goût ; églises, couvents, obélisques, colonnades, fontaines, statues, tout cela révèle soit un grand parti pris dans la vie, soit la grandeur des richesses accumulées par la conquête matérielle ou spirituelle. Un moine est un animal étrange, d’une race perdue. Une statue ne correspond pas aux besoins d’un bourgeois. Une église, même jésuitique, si emphatique qu’en soit la décoration, témoigne d’une corporation redoutable. Ceux qui ont fait le moine, la statue ou l’église, ont marqué visiblement sur la trame vulgaire de l’histoire, soit par le renoncement, soit par la puissance. Un couvent comme la Trinita-del-Monte, avec son air de forteresse fermée, une fontaine comme celle de Trevi, un palais massif, monumental comme ceux du Corso et de la place de Venise, annoncent des vies et des goûts qui ne sont pas ordinaires.

D’autre part, les contrastes abondent ; au sortir d’une rue bruyante et vivante, vous longez pendant un quart de lieue un mur énorme, suintant, incrusté de mousse ; pas un passant, pas une charrette ; de loin en loin une porte à boulons de fer s’arrondit sous une arcade basse : c’est la sortie secrète d’un grand jardin. — Vous tournez à gauche, et vous voilà dans une rue d’échoppes et de galetas, où pullule une canaille débraillée, où les