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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/159

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disputaient entre eux, et par derrière une foule qui suivait. Il me dit : « Puisque tu parles de beauté, Socrate, tu vas bientôt avoir à juger toi-même, car ceux-là qui entrent sont les avant-coureurs et les amoureux du plus beau jeune homme qu’il y ait aujourd’hui ; je crois qu’il est lui-même tout près d’ici et qu’il va venir. — Qui est-ce donc, dis-je, et de qui est-il fils ? — Tu le connais, répondit-il, mais il n’était pas encore d’âge avant ton départ : c’est Charmide, fils de Glaucus notre oncle, et mon cousin. — Par Jupiter ! dis-je, oui, je le connais ; il n’était pas médiocrement beau quand il était enfant, et il doit l’être tout à fait à présent qu’il est jeune homme. — Tu vas voir tout de suite, me dit-il, comme il est devenu beau et grand. » Et en même temps qu’il disait cela, Charmide entra.

« Il me parut admirable pour la taille et la beauté, et tous les autres qui étaient là me semblèrent amoureux de lui, tant ils furent troublés et frappés lorsqu’il entra ; beaucoup d’autres, amoureux de lui, étaient encore par derrière ceux qui suivaient. Qu’il fit cette impression sur nous autres hommes, cela est moins étonnant ; mais je remarquai que parmi les enfants aussi personne ne regardait autre part, pas même les plus petits, et que tous le contemplaient comme une statue.

« Alors Chéréphon, m’appelant : « Que te semble du jeune homme, Socrate ? me dit-il. N’est-il pas beau de visage ? — Merveilleusement beau, répondis-je. — S’il voulait se dépouiller, dit-il, son visage ne te semblerait plus rien, tant il est parfaitement beau par toute sa forme. » Les autres qui étaient là dirent la même chose que Chéréphon.

« Charmide, dis-je, il est naturel que tu l’emportes sur tous les autres, car personne ici, je pense, ne pourrait montrer dans Athènes deux autres maisons dont l’alliance puisse produire quelqu’un de plus beau et de meilleur que celles dont tu es sorti. En effet, votre famille paternelle, celle de Critias, fils de Dropide, a été célébrée par Anacréon, Solon, et par beaucoup d’autres poëtes, comme excellente en beauté, en vertu, et dans tous les biens où l’on met le bonheur. Et de même celle de ta mère ; car personne ne parut plus beau ni plus grand que ton oncle Pyrilampe toutes les fois qu’on l’envoyait en ambassade auprès du grand roi, ou auprès de quelque autre sur le continent. Cette autre maison ne le cède en rien à la première. Étant né de tels parents, il est naturel que tu sois en tout le premier. »