Aller au contenu

Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/160

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Avec cette scène dans l’esprit, on peut errer dans les grandes salles, et voir agir et penser les statues, le Discobole, par exemple, et le jeune Athlète, copié, dit-on, d’après Lysippe. Celui-ci vient de courir, il a dans la main un numéro par lequel on voit qu’il est arrivé le cinquième, et il se frotte avec le strigile. La tête est petite, l’intelligence ne va pas au delà de l’exercice corporel qu’il vient de faire ; cette gloire et cette occupation lui suffisent. En effet, dans les plus beaux temps de la Grèce, les triomphes gymnastiques paraissaient si importants que beaucoup de jeunes gens s’y préparaient pendant des années, chez des maîtres et avec un régime particulier, comme aujourd’hui les chevaux de course chez les entraîneurs. Il a l’air un peu las, et racle avec son strigile la sueur et la poussière collée sur sa peau. Qu’on me pardonne ce mot, il s’étrille ; le mot est choquant en français : il ne l’est pas pour des Grecs qui ne séparent point comme nous la vie humaine de la vie animale. Homère, énumérant les guerriers qui sont devant Troie, met sans y penser sur le même rang les chevaux et les hommes. « Ce sont là, dit-il, les chefs et les rois des Grecs. Dis-moi, Muse, quels étaient les meilleurs parmi les hommes et les meilleurs parmi les chevaux ? »

Mais, d’autre part, considérez quelles chairs une pareille vie devait faire, quelle solidité de tissu et de ton l’huile, la poussière, le soleil, le mouvement, la sueur, le strigile, devaient donner aux muscles ! Dans les Rivaux de Platon, le jeune homme adonné à la gymnastique raille amèrement son adversaire qui s’est fait lettré et liseur. « Il n’y a que l’exercice qui entretienne le corps. Vois Socrate, ce pauvre homme qui ne dort pas,