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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/161

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qui ne mange pas, qui a le cou roide et grêle à force de se tracasser l’esprit. » Et tout le monde se met à rire.

Le corps de celui-ci est parfaitement beau, presque réel, car ce n’est pas un dieu ni un héros. À cause de cela, le petit doigt du pied est gâté, l’arrière-bras est assez maigre, la chute des reins est très-marquée : mais les jambes, surtout la droite vue par derrière, auront la détente et l’élan d’un lévrier. C’est devant une pareille statue qu’on sent nettement la différence qui sépare la civilisation antique de la nôtre. Une cité entière choisissait pour la lutte et la course les meilleurs jeunes gens dans les meilleures familles ; elle assistait aux jeux ; hommes et femmes étaient là ; on comparait les dos, les jambes, les poitrines, tous les muscles en mouvement dans les cent mille aspects de l’effort. Un spectateur ordinaire était connaisseur, comme aujourd’hui un cavalier juge les chevaux dans un derby ou dans un carrousel. — Au retour, la cité accueillait le vainqueur par une cérémonie publique ; parfois on le choisissait pour général ; son nom était parmi les fastes de la ville, sa statue prenait rang parmi celles des héros protecteurs ; le vainqueur de la course donnait son nom à l’olympiade. — Quand les dix mille arrivent en vue de la mer Noire et se sentent sauvés, leur première idée est de célébrer des jeux ; ils ont échappé aux barbares, voilà enfin la vraie vie grecque qui recommence. « Cette colline, dit Dracontios, est un terrain excellent pour courir où l’on voudra. — Mais comment pourra-t-on courir sur un sol si rude et si boisé ? — Tant pis pour qui tombera ! — Pour la course du grand stade, il y eut plus de soixante Crétois ; les autres se présentèrent pour la lutte, le pugilat et le pancrace. Et le spectacle fut beau, car il