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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/202

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exister, et c’est justement pour cela qu’ils sont si beaux. La scène est dans un monde supérieur, que les yeux des hommes n’ont jamais vu, tout entier sorti de l’esprit de l’artiste. Tous ces personnages sont de la même famille que les déesses du plafond. Il faut rester devant eux une après-midi ; une fois qu’on les sent marcher, on éprouve qu’une pareille scène est au-dessus de tout. Le jeune homme, vêtu de longs vêtements blancs, au visage d’ange, monte comme une apparition méditative. L’autre, aux cheveux bouclés, qui se penche sur la figure de géométrie, et ses trois compagnons à côté de lui, sont des êtres divins. C’est un rêve dans l’azur. Ils peuvent, comme les figures entrevues dans l’extase ou dans le rêve, persister indéfiniment dans la même attitude. Le temps ne s’écoule pas pour eux. Le vieillard debout en manteau ronge, son voisin qui regarde, le jeune homme qui écrit, pourront demeurer ainsi toujours. Ils sont bien, leur être est accompli ; ils sont dans une de ces minutes dont parle le Faust de Gœthe, où l’on dit au moment : « Arrête-toi, tu es parfait. » Leur repos, c’est le bonheur fixe ; quand on a atteint un certain état d’accomplissement, il n’en faut plus bouger.

La vie humaine, celle du corps ou de l’âme, est infinie et énormément multiple ; mais il n’y a que certaines portions, certains instants qui, comme une rose entre cent mille roses, méritent de subsister, et telles sont ces attitudes. La plénitude de la force et l’harmonie de toute la structure humaine s’y manifestent sans disparate ni effort. Cela suffit ; on ne souhaite rien d’autre. Deux hommes adultes, penchés au-dessous d’un calme adolescent debout, font une belle forme, et il est doux de s’oublier devant elle. L’expression des têtes n’y