Aller au contenu

Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/229

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le génie peuvent accumuler, parvient, par la souplesse et l’universalité de l’imagination la plus cultivée qui fut jamais, à redresser sur un piédestal allemand une Iphigénie presque grecque. Avec une serre savamment bâtie et des calorifères bien ménagés, on peut faire mûrir des oranges, même en Normandie ; mais la serre coûtera un million ; sur dix orangers, neuf ne porteront que des avortons acides, et le paysan normand à qui vous offrirez les fruits du dixième préférera au fond du cœur son eau-de-vie et son poiré.

Reconnaissons qu’il y eut alors un concours de circonstances unique : on n’a jamais revu ce mélange de rudesse et de culture, ces façons d’hommes d’épée et ces goûts d’antiquaires, ces mœurs de bandits et ces conversations de lettrés. L’homme est alors dans un état passager, et sort du moyen âge pour entrer dans l’âge moderne ; ou plutôt les deux âges sont à leur confluent et pénètrent l’un dans l’autre de la façon la plus étrange et avec les contrastes les plus surprenants. Comme le gouvernement central et la fidélité monarchique n’ont pu s’établir en Italie, le moyen âge s’y prolonge plus longtemps qu’ailleurs par les violences privées et l’appel à la force. Comme en Italie la race est précoce et que la croûte de l’invasion germanique ne l’a recouverte qu’à demi, l’âge moderne s’y développe plus tôt qu’ailleurs par l’acquisition de la richesse, la fécondité de l’invention et la liberté de l’esprit. Ils sont à la fois plus avancés et plus arriérés que les autres peuples : plus arriérés dans le sentiment du juste, plus avancés dans le sentiment du beau, et leur goût est conforme à leur état. Toujours une société veut trouver dans les spectacles qu’elle se donne les objets qui l’inté-