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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/230

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ressent le plus. Toujours, dans une société, il y a un personnage régnant qui se reproduit et se contemple dans les arts. Aujourd’hui c’est le plébéien ambitieux qui veut goûter les plaisirs de Paris et, de sa mansarde, descendre au premier étage, — bref le parvenu, le travailleur, l’intrigant, l’homme de bureau, de bourse ou de cabinet, que représentent les romans de Balzac. Au dix-septième siècle, c’est l’homme de cour expert dans les bienséances et rompu aux manèges du monde, beau diseur, élégant, le plus poli, le plus adroit qu’on ait jamais vu, tel que le montre Racine et tel que les romans de mademoiselle de Scudéry essayent de le montrer. Au seizième siècle, en Italie, c’est l’homme bien portant, bien membre, richement vêtu, énergique et capable de belles attitudes, tel que les peintres le figurent. Sans doute un duc d’Urbin, un César Borgia, un Alphonse d’Este, un Léon X, écoutent des poètes et des raisonneurs ; c’est un divertissement le soir, après souper, dans une villa, sous des colonnades et des plafonds ornementés. En somme pourtant, ce qui les amuse, ce sont les occupations des yeux et du corps, les mascarades, les cavalcades, les grandes formes de l’architecture, la fière prestance des statues et des figures peintes, la superbe décoration dont ils s’entourent. Toute autre diversion serait fade ; ce ne sont pas des analystes, des philosophes, des gens de salon : il leur faut des choses palpables et tangibles. Si vous en doutez, regardez plutôt leurs plaisirs : ceux de Paul II, qui fait courir devant lui des chevaux, des ânes, des bœufs, des enfants, des vieillards, des Juifs qu’on a « empiffrés » d’avance afin de les rendre plus lourds, et qui rit à se tenir les côtes ; ceux d’Alexandre VI, que je ne puis pas décrire ; ceux