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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/239

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grand corps si fier. Devant son Eve et son Adam chassés du Paradis, personne ne songe à chercher la douleur des visages ; c’est le torse entier, ce sont les membres agissants ; c’est la charpente humaine avec l’assiette de ses poutres intérieures, avec la solidité de ses supports herculéens, avec le froissement et le craquement de ses jointures mouvantes, c’est l’ensemble qui frappe. La tête n’y entre que comme une portion, et l’on reste immobile, absorbé par la vue des cuisses qui soutiennent de pareils troncs, des bras indomptés qui soumettront la terre hostile.

Mais ce qui, à mon gré, surpasse tout, ce sont les vingt jeunes gens assis sur les corniches aux quatre coins de chaque peinture, véritables sculptures peintes qui donnent l’idée d’un monde supérieur et inconnu. Tous sont des héros adolescents, du temps d’Achille et d’Ajax, aussi fins de race, mais plus ardents et d’une énergie plus âpre. Là sont les grandes nudités, les superbes déploiements de membres, les mouvements emportés des batailles d’Homère, mais avec un plus fort élan, avec une plus courageuse hardiesse de volonté virile. On n’imaginait pas que la charpente humaine ployée ou dressée pût toucher l’esprit par une telle diversité d’émotions. Les cuisses appuient, la poitrine respire, tout le revêtement de chair se tend et frémit, le tronc se plie au-dessus des hanches, l’épaule sillonnée de muscles va retrousser impétueusement le bras. Un d’eux se renverse, tirant sa grande draperie sur sa cuisse ; un autre, le bras sur son front, semble parer un coup. Quelques-uns, pensifs, rêvent assis, laissant pendre les quatre membres. Plusieurs courent, enjambant une corniche, ou se rejettent en arrière avec un