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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/253

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tes les beautés de Rome, que les fabriques et les églises n’étaient plus rien auprès de ces vieux hêtres noueux, de ces grands combattants de mes chères forêts qui allaient revivre, et dont le vent moite appelait déjà les pousses. Ils délassent délicieusement des monuments et des pierres. Tout ce qui est humain est voulu, et à ce titre fatigue ; les lignes des bâtiments sont toujours roides ; une statue, un tableau n’est jamais qu’un spectre du passé ; les seules choses qui donnent un plaisir parfait sont les êtres naturels, en train de se faire et de se transformer, qui vivent, et dont la substance, pour ainsi dire, est coulante. On reste ici des après-midi entières à regarder les chênes-verts, la vague teinte bleuâtre de leur verdure, leurs rondeurs aussi amples que celles des arbres de l’Angleterre ; il y a ici une aristocratie comme là-bas ; seule la grande propriété héréditaire peut sauver de la cognée les beaux arbres inutiles. À côté d’eux, les pins-parasols, droits comme des colonnes, portent leur coupole dans le pacifique azur ; on ne se lasse pas de suivre ces rondeurs qui se suivent et se mêlent, le petit frémissement qui les agite, la courbure gracieuse de tant de nobles têtes éparses au milieu de l’air transparent. De distance en distance, un peuplier rouge de bourgeons allonge au milieu d’eux sa pyramide vacillante. Peu à peu le soleil baisse ; des chutes de clartés illuminent les troncs demi-blanchis, les pentes gazonnées pleines de pâquerettes fleuries. Le soleil baisse encore, et les vitres du palais flamboient ; des rougeurs étranges se posent sur les têtes des statues, et l’on entend dans le lointain des airs de Bellini, une musique vague apportée par les intervalles de la brise.