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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/255

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bassin ; au lieu des muscles en mouvement, le sculpteur ne représentait que la forme humaine, et cela suffit au spectateur.

Un groupe moderne de Bernin fait contraste : c’est Pluton enlevant Proserpine. La tête de Pluton est bassement joyeuse ; sa couronne et sa barbe lui donnent un air ridicule ; les muscles sont vigoureusement marqués, il prend une pose ; ce n’est plus un vrai dieu, c’est un dieu décoratif comme ceux de Versailles, un figurant mythologique occupé à obtenir un regard des connaisseurs et du maître. Le corps de Proserpine est bien moelleux, bien joli, bien tordu ; mais il y a trop d’expression et de mignardise dans ses yeux, dans ses larmes, dans sa petite bouche…

Le temps était parfaitement beau, le ciel d’un bleu sans nuages, d’autant plus charmant que depuis huit jours nous étions ici dans la pluie et dans la boue ; mais j’avais besoin de faire effort pour regarder, j’avais toujours sur le cœur la mort de notre pauvre ami Wœpke.

La villa est pourtant bien riante : les prairies, intactes et rafraîchies par les pluies, étincelaient ; les haies de lauriers fleuris, les futaies de chênes-verts, les allées de cyprès centenaires, ranimaient et redressaient l’âme par leur grâce ou leur grandeur. Cette sorte de paysage est unique ; les végétations des climats opposés s’y mêlent et s’y groupent : ici des bouquets de palmiers, de grands joncs panachés qui sortent comme un cierge de leur nid de lanières luisantes, là-bas un peuplier, un énorme châtaignier grisâtre et nu qui bourgeonne. Ce qui est plus étrange encore, ce sont les vieilles murailles de Rome, une vraie ruine naturelle qui sert d’enceinte. Les serres s’appuient contre les arcades rougeâtres ; les