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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/256

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citrons, en rangées pâles, se collent contre les briques disjointes ; tout à l’entour l’herbe nouvelle s’étend et foisonne ; de temps en temps, d’une hauteur, on aperçoit la dernière ceinture de l’horizon, les montagnes bleuies, rayées par la neige. Tout cela est dans l’enceinte de Rome ; personne n’y vient, je ne sais si quelqu’un y habite. Cette Rome est un musée et un sépulcre où subsistent dans le silence les formes passées de la vie.

On arrive au grand pavillon central dans une salle lambrissée de mosaïques où de grands bustes regardent, rangés gravement, du haut des niches. Le nom du fondateur, le cardinal Ludovisi, est inscrit au-dessus de chaque porte ; par les fenêtres on aperçoit des jardins et des verdures. L’Aurore du Guerchin remplit le plafond et ses courbures ; cela fait une salle à manger de grand seigneur, nue et grande ; aujourd’hui nous en avons de brillantes et de commodes ; en avons-nous de belles ? — L’Aurore, sur un char, quitte le vieux Titon, à demi enveloppée dans une draperie qu’un petit Amour soulève, pendant qu’un autre petit enfant nu, potelé, avec un air de bouderie enfantine, prend des fleurs dans un panier. C’est une jeune et vigoureuse femme, et dans sa force il y a presque de la rudesse. Devant elle, trois femmes sont sur un nuage, toutes larges, amples, bien plus originales et naturelles que celle de l’Aurore, du Guide. Plus avant encore folâtrent trois jeunes filles rieuses qui éteignent les étoiles. Un rayon de lumière nouvelle traverse à demi leurs visages, et le contraste des portions éclairées et des portions obscures est charmant. Parmi les nuages roussâtres et les fumées matinales qui s’évaporent, on aperçoit l’azur profond de la mer.