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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/285

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santes, et sur le devant, à travers l’air, la première Heure matinale jette des fleurs. Le bleu profond de la mer encore demi-obscure est charmant ; il y a une joie, une ampleur toute païenne dans les florissantes déesses qui se tiennent par la main, formant des pas, comme pour une fête antique. En effet, il copiait l’antique, par exemple les Niobides, et de la sorte il s’était fait une manière : le type une fois trouvé, il le répétait toujours, consultant, non pas la nature, mais l’agrément du spectateur. Aussi la plupart de ses figures ressemblent à des gravures de modes, par exemple l’Andromède de la salle voisine ; celle-ci n’a ni corps ni substance, elle n’existe pas, elle n’est qu’un ensemble d’agréables contours. Le Guide est un artiste heureux, admiré, mondain, qui s’accommode au goût du jour, qui plaît aux dames. Il disait : « J’ai deux cents manières différentes de faire regarder le ciel par de beaux yeux. » Ce qu’il apporte dans ce monde léger, galant, déjà affadi, où les sigisbés fleurissent, ce sont des délicatesses d’expression féminine inconnues aux anciens maîtres, ce sont des physionomies et des sourires de société. La véritable énergie, la force intérieure de la passion franche ont disparu déjà en Italie ; on n’aime plus les vraies vierges, les âmes primitives, les simples paysannes de Raphaël, mais de touchantes pensionnaires de salon ou de couvent, des demoiselles bien apprises ; l’ancienne rudesse s’est effacée, il n’y a plus de trace de la familiarité républicaine ; les gens se parlent cérémonieusement, selon l’étiquette, avec des titres ronflants et des phrases obséquieuses ; depuis la conquête espagnole, ils ne s’appellent plus frère ou compère, ils se donnent du monseigneur à travers le visage.