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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/297

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Ce ne sont là que les lignes générales ; il y a d’autres traits plus particuliers ajoutés par les jésuites et qui sont le propre de l’ordre : on fait vingt pas dans cette église, et tout de suite on les aperçoit. Entre ces mains ingénieuses et délicates la religion s’est faite mondaine ; elle veut plaire, elle pare son temple comme un salon, même elle le pare trop ; on dirait qu’elle fait montre de sa richesse : elle tâche d’amuser les yeux, de les éblouir, de piquer l’attention blasée, de paraître galante et pimpante. Les petites rotondes sur les deux côtés de la grande nef sont de charmants cabinets de marbre, frais et demi-obscurs comme des boudoirs ou des bains de belles dames. Les colonnes de marbre précieux dressent de toutes parts leurs fûts polis, où serpentent des teintes orangées, roses et verdâtres. Une tapisserie de marbres revêt les murs de ses bigarrures luisantes ; aux corniches, de jolis anges de marbre blanc s’élancent, déployant leurs jambes élégantes. Les dorures multipliées courent parmi les chapiteaux, scintillent autour des peintures, s’épanouissent en gloires au-dessus des autels, rampent le long des balustrades en filets lumineux, s’entassent dans les sanctuaires en bouquets ouvragés, en prodigues efflorescences, avec un air de fête qui fait penser à une galerie princière prête pour un bal. Dans ces fauves reflets de l’or, parmi ces incrustations de marbres colorés, à travers l’air encore chargé de vagues parfums d’encens, on voit se remuer de grands groupes de marbre blanc qui proclament le nouvel esprit, celui d’orthodoxie et d’obéissance : la Religion qui terrasse l’Hérésie, l’Église qui accable les faux Docteurs. Sur la gauche s’élève le trône du patron du lieu, le grand autel de saint Ignace, derrière une balus-