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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/344

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lant et du plus libre salon parisien. — On me réplique qu’il ne faut pas juger sur des exceptions, et que dans une compagnie de sots, si sots qu’ils soient, il y a toujours des gens d’esprit. Trois ou quatre (sans plus), ouverts, actifs, tranchent sur la foule moutonnière. Ceux-ci sont libéraux, les autres papalins, enfermés dans leur éducation, dans leurs préjugés, dans leur inertie, comme une momie dans ses bandelettes. On trouve sur leur table de petits livres dévots ou des chansons grivoises ; à cela se réduisent leurs importations françaises. Leurs fils servent dans la garde noble, se font une raie au milieu de la tête, et poursuivent les femmes de leur sourire de coiffeur.

Très-peu de salons ; l’esprit de société manque, et on ne s’amuse guère. Chaque grand seigneur reste au logis, et le soir reçoit ses familiers, gens qui appartiennent à la maison comme les tentures et les meubles. On ne va pas dans le monde, comme à Paris, par ambition, pour se ménager des relations, pour acquérir des appuis ; de pareilles démarches seraient inutiles. C’est dans d’autres eaux, dans les eaux ecclésiastiques, qu’il faut pêcher. Les cardinaux sont le plus souvent fils de paysans ou de petits bourgeois, et chacun d’eux a son entourage intime qui le suit depuis vingt ans ; son médecin, son confesseur, son valet de chambre arrivent par lui et dispensent ses grâces. Un jeune homme ne parvient qu’en s’attachant ainsi à la fortune d’un prélat ou à celle de ses gens ; cette fortune est un gros vaisseau que le vent pousse et qui traîne après lui les petites barques. Notez que ce grand crédit des prélats ne leur donne pas de salons. Pour obtenir une faveur ou une place, il ne faut pas s’adresser à un cardinal, à un chef de service ; il ré-