Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/353

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de muraille ; la décoration, les marbres ont péri ; il ne reste de lui que cette enceinte et le sol formé de débris humains. Là s’est déployée pendant des siècles la plus sanglante et la plus pompeuse des tragédies humaines : toutes les nations, Gaulois, Espagnols, Latins, Africains, Germains, Asiatiques, ont fourni leurs recrues et leurs jonchées de gladiateurs ; les cadavres des innombrables morts, aujourd’hui confondus, oubliés, font de l’herbe.

Quelques paysans passent, le fusil en bandoulière, à cheval, chaussés de fortes guêtres ; des bergers dans leur peau de mouton rêvent, l’œil brillant et vide. Nous arrivons à Porta-Prima ; des enfants déguenillés, une petite fille en loques, la poitrine nue jusqu’à l’estomac, se cramponnent à la voiture pour avoir l’aumône.

Nous allons voir à Porta-Prima les nouvelles fouilles ; c’est la maison de Livie ; on y a découvert, il y a six mois, une statue d’Auguste : tout cela est enseveli. Quels entassements de terre à Rome ! Dernièrement, dit-on, sous une église, on en a retrouvé une autre, et sous celle-là une autre, probablement du troisième siècle. La première s’était effondrée dans quelque invasion de barbares ; quand les habitants revinrent, les débris faisaient un tas solide ; sur les fûts des colonnes ils ont posé les fondements de la seconde église. La même chose est arrivée à la seconde, et on a bâti pareillement la troisième. Déjà Montaigne citait à Rome des temples enterrés dont le toit était au-dessous des pieds de toute la longueur d’une pique de lansquenet. — Quand on longe une route, on y aperçoit en tout pays une croûte de terreau noirâtre, celle que les hommes cultivent ; c’est d’elle que sort toute la population