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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/55

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nages en plein vent. La montagne est une sorte d’éléphant où se sont nichés des insectes humains qui grattent et tracassent. Telle maison n’a pas de rez-de-chaussée, on y monte par une échelle ; ailleurs la porte demeure ouverte, et dans l’enfoncement sombre on voit un homme qui joue d’une guitare parmi des femmes qui épluchent des légumes. Et tout d’un coup, au sortir de cette friperie, de ces trous à rats, de ce campement de pauvres diables, s’ouvre le splendide couvent, parmi toutes les magnificences de la nature et toutes les recherches de l’art.

Une cour surtout, ample, bordée de quatre portiques de marbre blanc, avec une vaste citerne grisâtre au centre, m’a semblé admirable. Des buis hauts et épais, des lavandes bleuâtres, la couvrent de leur simple et saine verdure ; au-dessus brille le blanc luisant des marbres, puis le riche azur du ciel : chaque couleur encadre et fait ressortir l’autre. Comme on comprend ici l’architecture et les portiques ! Dans le Nord, ils ne sont qu’un hors-d’œuvre, une importation de pédants ; on n’en a que faire ; on ne se promène pas le soir en plein air, on n’a pas besoin d’abri contre le soleil, ni d’ouvertures pour recevoir la brise de la mer. Et surtout on n’y sent pas le besoin de lignes nettes et tranchées, de couleurs simples, en petit nombre, largement opposées. Il faut être sous le plein azur du ciel, pour jouir du poli et de la blancheur des marbres. L’art est fait pour ce pays. Dans la disposition heureuse où le ciel lumineux et cet air frais mettent l’âme, on aime l’ornement, on est content de voir sous ses pieds des marbres colorés qui forment un dessin, d’apercevoir au bout de la galerie un grand médaillon richement sculpté, de contempler