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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/58

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un corridor, une échappée de vue qui ne porte l’empreinte d’un artiste. À l’entrée, dans la cour nue, une Vierge du Bernin, tortillée dans ses draperies mignardes, regarde son petit enfant, délicat et joli comme un amour de boudoir ; mais elle est grande et se sent de sa race, la race des nobles corps créés par les grands peintres. Quand ils ont décoré ce couvent, au dix-septième siècle, ils n’avaient plus la pure idée du beau, mais alors encore ils ne songeaient qu’au beau. Vous sentirez le contraste, si vous songez à l’intérieur de Windsor, de Buckingham-Palace ou des Tuileries.

L’église est d’une richesse extraordinaire. Ce qu’on y a entassé de marbres précieux, de sculptures, de peintures, est inouï. Les balustres et les colonnes sont des bijoux. Une légion de peintres et de sculpteurs contemporains, le Guide, Lanfranc, Caravage, le cavalier d’Arpino, Solimène, Luca Giordano, y ont prodigué les audaces, les grâces et les mignardises de leur pinceau. À côté de la grande nef, les chapelles latérales et la sacristie déploient des centaines de peintures. Il n’y a pas un coin des plafonds qui n’en soit couvert. Tous ces corps s’élancent et se renversent comme dans l’air libre ; les vêtements ondoient et se froissent, les chairs roses et vivantes luisent parmi les soies des tuniques, les beaux membres semblent prendre plaisir à s’étaler et à se mouvoir ; plusieurs saints demi-nus sont de jeunes hommes charmants ; un ange de Luca Giordano, en robe bleue, les jambes et les épaules nues, ressemble à une jeune nue amoureuse. Les poses sont exagérées, toute cette peinture fait tapage, mais elle est d’accord avec les reflets des marbres colorés, avec les draperies agitées des statues, avec le scintillement des ornements