Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/364

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aussi bien la population, la santé, la vigueur, l’intelligence, le caractère, ont-elles une tendance à régresser après avoir progressé et par le fait même qu’elles ont progressé ? Voilà la question. Je réponds non. Je sais bien que beaucoup de peuples, après avoir eu une natalité abondante, des enfants robustes, des caractères énergiques, de la loyauté, de la moralité, de la prospérité, ont vu, à un tournant de l’histoire, l’ombre portée de quelque autre peuple, l’influence létifère de vices ou de luxes étrangers, de doctrines fatales, stériliser leurs mariages, énerver leur courage, paralyser leurs énergies. Mais ne pouvaient-ils absolument éviter ce contact funeste, qui les a tués ? La grande raison qu’on croit avoir ici de désespérer, c’est la décevante comparaison de la société avec l’individu vivant, je ne dis pas avec l’espèce vivante, comme nous l’avons vu. Ne semble-t-il pas qu’une même cause interne fasse vieillir l’individu après l’avoir fait grandir ? Eh bien, je ne suis pas même bien sur de cela, malgré l’apparente nécessité de la mort chez les être vivants supérieurs. Si nécessaire qu’elle puisse sembler en fait, la mort, même celle qui est appelée naturelle, est toujours, en droit, une chose contre nature, objet des protestations obstinées de tout l’être vivant jusqu’à son dernier souffle (sauf peut-être dans les dernières minutes de sa vie) et que la coalition de tous les autres phénomènes ambiants et hostiles, toujours victorieuse d’ailleurs un jour ou l’autre, rend seule inévitable. Mort violente, cela signifie mort causée par le choc d’un seul être ou d’un seul phénomène hostile ; mort naturelle, mort causée par une conspiration d’hostilités anonymes et de toutes parts environnantes. Mais, quand même il faudrait faire une exception