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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/386

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un grain de folie. Mais non, Sophie Walder n’est point folle. Elle a de ces moments où sa nature est exubérante. Je ne disais rien, j’étudiais.

Nous causâmes. Elle en revenait toujours à ses idées de voyages. Elle me raconta qu’étant née en Europe elle n’y était retournée qu’une fois, en 1874. Son père s’était, en 1873, rallié au Rite Écossais et au Palladisme. Albert Pike, voyant en lui un lieutenant sur lequel il pouvait compter, lui avait immédiatement donné place dans son Sérénissime Grand Collège et l’avait chargé d’importantes missions. Ayant à faire une tournée générale en Europe, Walder avait emmené sa fille, cette fois-là ; elle avait onze ans. Sophie se rappelait surtout l’excellent accueil qu’elle avait reçu à Lausanne.

Elle me donna des détails. Les officiers dignitaires du Suprême Conseil de Suisse s’étaient réunis, tous les sept, et Walder l’avait présentée. Il avait annoncé au grand-maître Besançon et à ses collègues que de grandes destinées étaient réservées à sa fille.

— Oui, c’est ainsi, me narrait la jeune miss avec un air de conviction absolue ; père dit que j’ai été choisie par notre Dieu. Je suis la tige prédestinée. Je serai mère, à trente-trois ans, d’une fille, qui, elle-même, à trente-trois ans, mettra au monde une autre fille. Il y aura ainsi une succession de filles, nées de moi, qui seront mères à trente-trois ans. Cela est marqué, d’une manière irrévocable, dans le livre du destin, et la dernière de ces filles de ma descendance sera la mère de l’Ante-Christ…

Encore une fois, je me demandai si Mlle Walder ne divaguait pas. Elle parlait, les dents serrées, me pressant le bras avec force, et je la sentais frissonner.

— Ah ! docteur, disait-elle, quelle gloire ! Que de femmes m’envieraient si elles savaient que dans ma descendance directe naîtra celui qui changera à jamais la face du monde !… Père assure, et il ne se trompe pas sur ces choses, que le nombre des papes d’Adonaï est limité, et qu’il n’y aura pas, pour voir le dernier d’entre eux, de nombreuses générations issues de moi… Alors, les maleachs seront impuissants, et le règne du Dieu Bon commencera pour le bonheur général de l’humanité !…

J’étais stupéfait d’entendre un pareil langage ; cependant, je ne laissais rien paraître de ma surprise. Je me remis même promptement de ma stupéfaction, et j’eus l’air de m’intéresser sérieusement à ce qu’elle me racontait. Du reste, je voyais de nouveaux horizons s’ouvrir pour mon enquête. Je savais que, bien que jeune fille, Mlle Walder connaissait à fond les sciences occultes ; d’après quelques mots échappés à son père, j’avais compris qu’elle était déjà quelque peu praticienne, ne se bornant pas à la théorie ; ce qu’elle venait de me dire m’en apportait la