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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/559

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Nous fuîmes, c’est le cas de le dire, pendant que dans les escaliers jusque dans la rue retentissait à nos oreilles la phrase de l’autre cherchant toujours son polonais… L’a-t-il retrouvé depuis ? La chose est certaine, car certainement le polonais ne s’était pas évaporé. Fasse le diable, en tout cas, qu’il l’ait retrouvé vite ; car, si depuis il le cherche toujours et si toujours aussi il répète sa phrase : « Aber woher ist nur der liebliche pole ? » et s’il ne s’est pas arrêté de la dire, avec l’obstination si connue des allemands, il y a de cela quelques années, vous savez, et le Wachtmann doit commencer à être fatigué.

Donc, nous avions fui, et un peu au hasard du groupement. Maintenant, nous descendions la rue, silencieux d’abord, baillant à nous décrocher les mâchoires, et nous ébrouant comme chevaux fatigués.

Il y avait déjà quelque temps que nous marchions, un demi-quart d’heure et plus, peut-être, lorsque (je longeais seul, les mains dans les poches, la bordure du trottoir, pensant je ne sais plus à quoi, peut-être à rien), lorsque, dis-je, je sentis une main se glisser sous mon bras.

Je me retournai ; c’était un de mes co-invités dont j’avais tout particulièrement remarqué l’admirable et tenace sommeil, et qui, me prenant ainsi par le bras, me dit en excellent français :

— Cher monsieur, bien que je ne sois pas votre compatriote, j’aime beaucoup les Français, et je suis tout heureux, lorsque j’en rencontre un par hasard en pays étranger, de passer quelques heures agréables en sa compagnie… Quelles brutes, n’est-ce pas, continua-t-il, que ces allemands et surtout ce polonais ! quelle gigantesque coquecigrue ! et quelle abominable soirée vous avez du passer là ?

— J’avoue, lui répondis-je, que je me suis ennuyé comme la Pologne tout entière. Vraiment, j’espérais autre chose ; et je regrette bien ma soirée.

— Puisque nous nous connaissons maçonniquement, continuait alors mon interlocuteur, bien que n’étant pas du même rite, permettez-moi de vous présenter le profane qui se cache sous le maçon.

Et me saluant, il dit :

— Le professeur Hans Sundström, de Stockholm, président de la société spirite la Thornwald, et membre du groupe des Études occultes de la même ville, de passage en ce moment à Berlin, pour études.

— Le docteur… Bataille, fis-je en le saluant à mon tour, de passage à Berlin, pour son agrément.

La présentation était faite. Nous nous inclinâmes réciproquement.

— Ah ! très enchanté, docteur, me dit alors mon compagnon, j’ai un grand service à vous demander.

— Parlez, répondis-je, et très heureux de pouvoir vous être agréable.