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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/561

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promenade, devant le très haut monument commémoratif où Frédéric le Grand se profile à cheval, en grimaçant.

Prendre la Charlottenstrasse, tourner l’hôtel, et en deux pas arriver auprès des brasseries borgnes, fut l’affaire d’un instant.

Ce coin de Berlin est de bonne heure absolument désert. L’immense bâtiment de la gare surplombe en une sorte de place oblongue, où, dans l’ombre, des fiacres stationnent, la lanterne à demi éteinte, fumeuse, avec le cocher endormi. C’est une tranquillité lourde, épaisse, bien allemande et d’une triste obscurité, traversée seulement d’intervalle en intervalle par la lueur réfléchie d’un ornement d’acier qui garnit le casque à pointe du schutzmann (policier) à cheval, à mesure que la lumière d’un gaz s’y joue, lorsque son cheval lui imprime un mouvement du corps.

Sur la porte de l’hôtel, un petit groom sifflotait une marche de fifre.

Woher erhaltet sich die vereinigung ? (où se tient la réunion ?) lui demandâmes-nous.

Il resta un instant ébaubi, la main à la casquette, en murmurant : weis’ nit, weis’ nit (je ne sais pas) ; puis, tout à coup il fit demi-tour et appela le herr portier. Celui-ci arriva, fit quelques pas et nous indiqua, le bras tendu, une petite lanterne rouge, falote, qui pendait au bout d’une hampe de drapeau, cinq portes plus loin, dans le même îlot.

Je profitai de la circonstance pour me présenter maçonniquement à mon erste-portier et lui exprimer le plaisir que j’aurais à assister, moi aussi, à cette réunion.

— Je n’ai plus d’invitations, nous répondit le fonctionnaire ; mais, si vous voulez prendre la peine de traverser la première rue, là, à deux pas, derrière l’hôtel, et de passer ensuite sur le quai, vous trouverez à gauche le derrière de la Grande Loge l’Amitié. En frappant à la porte privée, du côté de l’eau, à peu de distance du pont de Marschall, vous réveillerez mon collègue le servant-portier, qui d’ailleurs très probablement ne dort pas encore à cette heure, et il se fera un véritable plaisir de vous remettre la carte d’invitation indispensable et qui n’est remise qu’à des frères sûrs ; vous pourrez ainsi assister à cette réunion.

Bien entendu, nous nous empressâmes de mettre à exécution le plan du erste-portier. Tout se passa bien, et, dix minutes après, moyennant un simple baccich de dix groschen (deux sous), j’avais, moi aussi, mon invitation.

C’était un simple carton vert, portant en tête : Société spirite La Germania (Vocates Élus), donnant la date et l’heure de la réunion, ainsi que l’indication du local, le cirque situé dans l’îlot du Central-Hôtel, et se terminant par la mention : Carte Personnelle.

Munis de cette carte, nous redescendîmes le long du quai, jusque vers