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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/811

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Satan, à qui l’avenir est caché, put croire que le moment était venu pour lui de tenter le grand coup, et il se prépara à l’assaut du ciel en multipliant ses maléfices sur la terre. La suite devait démontrer que le père du mensonge s’était le premier trompé ; il avait pris son désir pour la réalité ; la dernière heure du monde n’était pas encore près de sonner. N’importe, les signes de son audace inouïe en ces circonstances sont certains ; le Maudit agit, pour perdre l’humanité, avec une rage qui n’avait jamais atteint jusqu’alors un pareil degré. Les faits sont là, indéniables, rapportés par les chroniqueurs de l’époque.

À ce sujet, on peut citer, comme formels, les témoignages des contemporains : Abbon de Fleury (Apologeticum dans Migne, Patrol. lat., tome CXXXIX, col. 462) ; Sigebert de Gembloux (Chronicon, sur l’an 1000, dans les Historiens de France ; Cf. Pagi, ad Baron., an 1001) ; et surtout Raoul Glaber (Histor., livr. III, ch. iv et vi), complétés par Godwel (Chronic. Hirsaug., p. 103) et Tritheim (Monach. Lemovic., dans les Historiens de France, tome X, p. 262).

Les phénomènes diaboliques qui se manifestèrent furent si graves, qu’il y eut une véritable panique parmi les chrétiens les plus fidèles ; cela est incontestable. Ainsi, la Société archéologique de Montpellier possède un témoignage peu connu, mais des plus curieux, de cette attente où l’on était dans beaucoup d’endroits, surtout dans le Midi, de la grande catastrophe : c’est une prose avec chant, provenant de l’abbaye d’Aniane, et inspirée par la préoccupation de la fin du monde. Elle a été publiée sous ce titre : Prose de Montpellier ou Chant du dernier jour, composée pour l’an 1000 en notation neumatique (deuxième édition, par MM. Paulin Blanc et l’abbé Tesson, Paris, 1863 ; Cf. Mémoires de la Société archéologique de Montpellier, tome III, 1850). Cette prose est tirée d’un manuscrit de la fin du dixième ou du commencement du onzième siècle ; elle est notée en points superposés, suivant le système de notation du chant dans les manuscrits du neuvième au onzième siècles. La poésie, inspirée de pensées du jugement dernier, en est simple et grandiose ; la mélodie, écrite dans le premier mode du chant grégorien, est d’un caractère expressif. Paroles et musique forment une des plus belles compositions du moyen-âge. Le texte du manuscrit de l’abbaye d’Aniane n’est qu’une copie, où se rencontrent plusieurs fautes dues à l’ignorance ou à la négligence du transcripteur. En voici, à titre de curiosité, la première strophe :



Audi tellus, audi magni maris limbus ;
Audi homo, audz omne quod vivit sub sole :
Veniet, prope est dies iræ supremæ,
Dies invita, dies amara,