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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/256

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En troisième lieu l’absence du roi, une fois provoquée même par une cause accidentelle tend à se continuer par les mêmes forces qui tendent à perpétuer, dans la monarchie vivante, la présence du roi. Ce qui fait la vigueur de la monarchie présente fait la difficulté à renaître de la monarchie déchue : une fois à terre les puissances mêmes qui l’ont servie se retournent contre elle. C’est la prescription, qui s’applique à sa carence comme elle s’est appliquée à son existence. C’est l’hérédité, qui la fait solidaire des fautes, des abdications, des malheurs qui l’ont retranchée. C’est la personnalité, qui oblige le peuple à regarder en elle, comme en 1830 et en 1871, la personne du prétendant plutôt que le caractère de la royauté : il faut alors que la personne porte le principe, au lieu que, dans une monarchie normale, le principe porte la personne et supplée à sa faiblesse. C’est ainsi qu’une fois tombée, ses chances de retour décroissent régulièrement de même qu’une fois établie ses chances de maintien croissent automatiquement.

En même temps de longues périodes d’exil rendent à moitié étrangère la plus nationale des familles françaises. Cela diminue les chances de retour, mais peut fort bien, en cas de retour, constituer un avantage précieux. Ce fut en 1814 et en 1815 celui de Louis XVIII. Revenant d’un exil de vingt-quatre ans, il sut, comme le Corse qui l’avait précédé, se comporter naturellement, dans un pays déchiré par les factions, à la manière d’un podestat étranger, jouer comme Henri IV ce rôle d’arbitre intelligent et sans haine dont la France un jour pourra avoir besoin.

En somme, si la République est l’absence du prince, et si cette absence est fâcheuse, les premiers torts incombent à ceux qui se sont absentés ; et il faut bien convenir que les Bourbons ont eu l’absentéisme chronique. La République tire dès lors une force de n’avoir pas eu à s’imposer par la force, puisqu’elle figure le résultat automatique de l’abdication et de la carence des anciens pouvoirs. Carence de l’Empire au 4 septembre, mais aussi carence de la monarchie traditionnelle en 1873. La République est l’absence du roi, mais le comte de Chambord fut vraiment le roi de l’absence. On peut épiloguer tant qu’on voudra sur l’affaire du drapeau : toute l’histoire d’une dynastie, tout un passage de l’être au néant, — comme l’histoire de la tragédie entre le Cid et Lucrèce — tient entre le panache blanc de Henri IV et le drapeau blanc de Henri V. Et le duc de Bordeaux avait eu toute la valeur individuelle et française qui manqua au comte de Chambord. Si son cousin ne lui avait pas pris sa couronne en 1830, s’il était monté