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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume III – TII.djvu/137

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LE MONDE QUI DURE

interne s’y oppose. Il croit plutôt qu’elle pourrait y conduire. « Les considérations exposées dans mon Essai sur les données immédiates de la conscience aboutissent à mettre en lumière le fait de la liberté ; celles de Matière et Mémoire font toucher du doigt, je l’espère, la réalité de l’esprit ; celles de l’Évolution Créatrice présentent la création comme un fait : de tout cela se dégage nettement l’idée d’un Dieu créateur et libre, générateur à la fois de la matière et de la vie, et dont l’effort de création se continue, du côté de la vie, par l’évolution des espèces et par la constitution des personnalités humaines. De tout cela se dégage, par conséquent, la réfutation du monisme et du panthéisme en général. Mais, pour préciser encore plus ces conclusions et en dire davantage, il faudrait aborder des problèmes d’un tout autre genre les problèmes moraux[1]. »

Employons plutôt un autre mot que le mot réfuté. Disons que le monisme et le panthéisme sont tournés. Le monisme apparaît comme une vue sur le plus bas degré de l’être, comme la philosophie de ce monde en repos que diffèrent le mouvement créateur et l’élan vital : l’élan vital c’est ce qui confirmerait de plus en plus le pluralisme philosophique. Le panthéisme apparaît comme une philosophie du donné, alors que, pour la philosophie bergsonienne, le réel n’est jamais donné, mais inventé au fur et à mesure d’une durée réelle. Spinoza, dit Leibnitz, aurait raison s’il n’y avait pas de monades. Le monisme et le panthéisme auraient raison s’il n’y avait pas d’énergie spirituelle, et il va de soi qu’une philosophie qui vise à établir la réalité de l’énergie spirituelle ne saurait être appelée monisme ni panthéisme.

Et pourtant… Monisme et panthéisme sont tournés. Je tourne la loi, donc je la respecte, disait maître Guérin. Monisme s’oppose aussi bien à dualisme qu’à pluralisme : dualisme de l’esprit et de la matière, pluralisme des êtres réels : réalité de l’esprit et des individus. Or si la matière n’est dans le bergsonisme qu’une déficience de la vie, que de l’esprit éteint, le bergsonisme ne saurait guère s’appeler un dualisme. Est-il un pluralisme ? On peut hésiter. L’élan vital semble marcher vers un pluralisme a parte post, mais partir d’un monisme a parte ante, et expliquer cet élan c’est le ramener vers le principe dont il part. Tout ce que nous pouvons dire c’est que dualisme et pluralisme sont des concepts qui vont aussi mal au bergsonisme que monisme et panthéisme, Il faudrait appeler cette doctrine un spiritualisme, si ce mot

  1. Études, tome CXXX. p. 515.