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Page:Thomen - Les Aventures acrobatiques de Charlot — Charlot aviateur.djvu/19

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Tout en déambulant sur la grand’route, Charlot murmurait avec humeur : « C’est vraiment malheureux d’être obligé d’aller à pied quand on a en poche son permis de conduire ! Il est vrai qu’un permis de conduire pour qui n’a pas de voiture. » Cette pièce officielle allait cependant lui permettre de rendre service à un chauffeur malade et à lui faire vivre, à lui Charlot, une aventure que peu d’automobilistes ont vécue, Une camionnette semblait abandonnée, en pleine campagne. Son conducteur n’était pourtant pas loin. Assis sur le talus de la route, il avait l’air de souffrir. « Ça ne va pas ? lui demanda Charlot, — Non, répondit l’homme. La trépidation du moteur me donne des palpitations. Impossible de conduire ! Et il faudrait que d’ici une heure ma bagnole et son contenu soient arrivés à la ville et installés sur la place du Marché ! — Ne t’en fais pas ! fit Charlot. J’ai mon permis. Reste assis là. Quand j’aurai livré à ta place, je reviendrai te chercher dans une voiture d’ambulance ! »

Et il s’installa au volant. Quoi qu’en disent les gens qui voient le mal partout, de rendre service à son prochain cela comporte généralement sa récompense. C’était ce que se disait Charlot en constatant qu’il arriverait à la ville beaucoup plus rapidement et sans fatigue. Mais, bientôt, il fut saisi d’une inquiétude vague. Par un trou pratiqué dans la cloison lui arrivaient des relents d’une odeur désagréable qui n’était mi celle de l’essence ni celle de l’huile. Il en sortait aussi de petits bruits inquiétants. « Hum. ronchonna Charlot, on dirait que la cargaison que je transporte est vivante ?… Quelque animal de ferme, sans doute : bœuf, vache, veau, mouton ou cochon ? Je veux en avoir de cœur net ! » Il arrêta sa voiture, ouvrit le panneau arrière et se trouva nez à nez avec un superbe lion adulte à la crinière opulente. Charlot n’en demanda pas davantage, « Excusez-moi si je vous quitte, dit-il au fauve, mais j’ai des haricots sur le feu et j’ai peur qu’ils brûlent ! »

Et il prit ses jambes à son cou. Le lion semblait plus étonné que lui, devant cet homme qui n’était pas le chauffeur habituel de la ménagerie à laquelle il appartenait. Il le laissa d’abord partir sans le poursuivre, Mais c’était une vieille bête fatiguée qui n’aimait pas non plus d’aller à pied. En constatant que ce second chauffeur abandonnait son poste sans avoir, comme le premier, l’excuse de la maladie, il lui courut après pour le rappeler à son devoir. Charlot buta dans une grosse pierre et s’étala de tout son long sur la route. Alors, il se passa ceci qui pourrait sembler invraisemblable, s’il ne s’agissait de notre héros : le lion prit délicatement, mais fermement le bras de Charlot dans sa gueule édentée, transporta ainsi le conducteur défaillant jusqu’à la voiture, l’installa au volant et s’installa lui-même à côté de lui sur la banquette, après avoir refermé fort adroitement le panneau arrière de la camionnette. Une heure plus tard, cet étrange équipage faisait en ville une entrée très remarquée.