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Page:Thomen - Les Aventures acrobatiques de Charlot — Charlot aviateur.djvu/20

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En remettant le fauve au propriétaire de la ménagerie, Charlot lui dit : « Votre chauffeur est resté en route. Il est malade. Pourtant, ne comptez pas sur moi pour le remplacer ! Votre lion édenté n’est pas bien dangereux ; mais, s’il vous prenait un jour la fantaisie de lui faire poser un dentier ! » Du reste, si Charlot s’était rendu dans cette grande ville, c’était pour y prendre possession d’un emploi de livreur à la Crémerie Centrale, Cette maison de dixième ordre, malgré son titre ronflant, ne possédait pas encore de camionnette. Un simple triporteur assurait le service de livraison. Il est vrai qu’il était mû par une motocyclette. Pour ses débuts, Charlot eut à faire une livraison importante. La crémière lui commanda : « Vous porterez ces soixante douzaines d’œufs au château de Veaumorné ! Le comte et la comtesse marient leur demoiselle. Ces œufs, c’est pour le repas de noces. Surtout, ne les cassez pas ! — Soyez tranquille, patronne, on connaît le métier ! » assura Charlot.

Et il partit, pleins gaz, cigarette au bec et rêves en tête. « À quoi rêvait-il ? demandera-t-on. — Au triporteur-taxi, » répondrons-nous. « Rien de plus simple, rêvassait Charlot. Le triporteur commercial se mue en triporteur de plaisance, Puisqu’il transporte des marchandises, il peut également transporter des clients, La crémière me paie pour le transport des beurres, œufs et fromages, les clients me paient pour les véhiculer, je touche des deux mains et c’est la fortune. » Le bruit d’une discussion attira son attention. Un vieux couple endimanché venait de héler un taxi : « Combien nous prendriez-nous pour nous conduire au château de Veaumorné ? demandait le vieux monsieur. — Cinquante francs, répondait le chauffeur. — C’est trop cher ! — Vieux pingre ! » L’affaire ne s’étant pas conclue, Charlot vit là l’occasion de réaliser son rêve. « J’y vais justement au château de Veaumorné, dit-il au couple endimanché. Je puis vous y transporter. — Combien ? — Vingt francs ! — Adjugé ! fit le mari. — Vous nous sauvez la vie ! » s’écria la grosse dame.

Cependant, à l’aspect du singulier équipage qui devrait les conduire à la somptueuse demeure du comte et de la comtesse de Veaumorné, les voyageurs au rabais se montrèrent un peu inquiets. « Comment nous installerez-vous ? demanda le mari, — Rien de plus facile, répondit Charlot que rien n’embarrassait jamais. Vous, monsieur, rien qu’à votre allure sportive, on voit que vous ferez très bien sur le porte-bagage, Il y a une poignée pour vous tenir. Aucun danger de vous semer en route, comme les cailloux du Petit Poucet. Quant à vous, madame, je ne saurais installer votre grâce vraiment grasse ailleurs que dans le coffre du triporteur. Vous y serez très bien et moelleusement, bien que le carrossier ait négligé le capitonnage. Mais, dépêchons-nous : il y a loin d’ici au château. » Prenant résolument la grosse dame dans ses bras, Charlot la hissa tant bien que mal et la laissa retomber de tout son poids sur sur les soixante douzaines d’œufs destinés à la confection du repas de noces et dont il avait totalement oublié l’existence. Quelle omelette !