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Page:Thomen - Les Aventures acrobatiques de Charlot — Charlot aviateur.djvu/21

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Les soixante douzaines d’œufs n’étant plus qu’une vaste omelette dans le fond du coffre, leur livraison au château de Veaumorné n’avait plus aucune raison d’être. Charlot abandonna donc sur place le triporteur, le vieux monsieur juché sur le porte-bagage et la grosse dame installée parmi les débris des 720 coquilles. Du même coup, il abandonna également sa situation de livreur à la Crémerie Centrale. Et le voilà parti à la recherche d’une nouvelle situation. Il n’allait pas tarder à la trouver. En effet, un industriel le pria poliment d’entrer dans son atelier pour lui faire voir l’auto de course qu’il venait de construire. « C’est un super-bolide lui annonça-t-il. Il est parfaitement au point, et je Cherche un coureur capable de lui faire faire les 200 kilomètres de moyenne horaire. Êtes-vous ce coureur ? — Je le suis ! » répondit Charlot qui se croyait un as du volant. Les essais devaient avoir lieu sur la plage de Troutrou-les-Sables.

Dès le lendemain, le constructeur et Charlot pilotant le super-bolide se trouvaient à pied d’œuvre. « Y êtes-vous ? demanda l’industriel, chronomètre en main. — Pas avant d’avoir accompli cette petite formalité, » répondit Charlot, en lui tendant un pli orné de cinq cachets de cire noire, sur lequel était écrit : « Ceci est mon testament. » Sage précaution, car on n’ignore pas combien sont dangereux ces engins ultra-rapides, Si dangereux même que les baigneurs qui, ce jour-là, prenaient leurs ébats sur la plage de Troutrou-les-Sables n’auraient pas mal fait de courir chez le notaire mettre leurs affaires en ordre. Car l’arrivée, en ce lieu paisible, du super-bolide piloté par un chauffeur aussi peu expérimenté que Charlot promettait de faire de nombreuses victimes parmi les baigneurs. Il n’en fut heureusement rien. Servi par un hasard heureux, l’auto de course ne renversa personne. Elle semblait une grosse bête capricieuse mais consciente de ce qu’elle faisait.

Pourtant, on peut dire que les amateurs de bains de soleil eurent Vraiment chaud, quand le bolide, dont les roues avaient cessé de reposer à terre par l’effet de la vitesse, les survola. Ils s’empressèrent de chercher dans les flots un abri contre le danger. Un après l’autre, ils plongèrent. Il était temps. Charlot, grisé par la folie de la vitesse, ne semblait plus maître de sa direction. Il tournait en rond sur le sable de la plage, à la façon des chevaux de bois. Sa voiture zigzaguait comme si, au lieu d’essence, elle eût consommé du vieux cognac. Enfin, pour couronner cet exploit sportif fort intéressant pour un spectateur éloigné, Charlot lança son auto-bolide sur le plongeoir. Arrivée au sommet, dans l’impossibilité de mettre en marche arrière, le conducteur n’essaya pas de réagir et s’abandonna a son sort. Il se retrouva dans l’eau, parmi les baigneurs effarés. « Cela n’arrive qu’à moi ! » gémit-il. Mais son naturel insouciant reprit vite le dessus et il s’écria : « Un bon bain, rien de tel pour vous remettre d’aplomb, après un violent effort physique et cérébral ! »