Page:Thomen - Les Aventures acrobatiques de Charlot — Charlot aviateur.djvu/30

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Les trois matelots de l’île sous-marine étaient en effet de sombres brutes. C’était à cette absence totale de civilisation qui se remarquait en eux qu’ils devaient d’avoir été embauchés par une espèce d’original fuyant la société des hommes, En qualité de brutes, ils adoraient l’alcool et les lourdes joies qu’il procure. Aussi ne se firent-ils pas prier pour aller Chercher la bouteille de vieux rhum dans la carlingue de l’avion, Pensez donc ! « Nous la boirons ensemble ! » avait promis leur prisonnier. Mais ce que Charlot ne leur avait pas dit, c’est qu’il mélangerait au rhum une dose massive d’un somnifère qu’il avait dans sa poche, En trois lampées — une par homme — la bouteille se trouva vidée. L’alcool et le somnifère agissant à la façon d’un coup de massue, les matelots ne tardèrent pas à s’endormir. Quand leurs ronflements fui apprirent qu’il était désormais libre d’agir à sa guise, Charlot ne perdit pas de temps pour mettre à exécution son projet d’évasion.

Il eut vite fait de découvrir l’échelle de fer qui menait au sommet du palmier métallique. Il avait emporté avec lui le tuyau de caoutchouc servant à conduire l’essence. Après une série d’acrobaties qui étaient pour lui l’enfance de l’art, le pilote parvint à placer ce tuyau dans le réservoir vide du Crapaud-Volant. Quand ce fut fait, il redescendit précipitamment et se mit à pomper. De temps en temps, il était obligé de remonter jusqu’au faîte du palmier pour voir si le réservoir était plein ou s’il avait encore soif. Bref, il mena cette opération rondement et d’une façon parfaite, Puis il s’installa dans la carlingue de l’avion. Au même instant, le patron du sous-marin s’éveillait de sa sieste, Les ronronnements sonores de ses matelots le firent sortir de sa cabine pour voir ce qui se passait. En voyant les trois brutes endormies alors qu’une, au moins, aurait dû être de quart, il flaira quelque événement inattendu. « Où est mon prisonnier ? » rugit-il.

La vue de la bouteille vide de rhum lui mit la puce à l’oreille, car jamais une goutte d’alcool n’entrait dans cet extraordinaire sous-marin, il bondit et arriva sur le pont de son navire juste au moment où Charlot venait de mettre l’hélice en marche. « Ah ! ah ! on veut me fausser compagnie ? rugit-il. On a peur des tortures que je m’apprêtais à faire subir à qui vient troubler ma solitude ? On croit qu’on échappera au juste châtiment ? Ah ! ah ! laissez-moi rire ! » De fait, le personnage se mit à ricaner en roulant des veux furibonds. « C’est un fou ! » se dit Charlot. Et il se félicita d’avoir pris ses dispositions pour s’éloigner d’un tel énergumène. Tout à coup, il sentit le sol se dérober sous lui. Il manœuvra vivement les commandes, et le Crapaud-Volant décolla et prit de la hauteur. Il était temps ! Le fou était redescendu vivement dans la cale. Et après avoir fermé soigneusement toutes les issues, il avait mis son sous-marin en plongée. Ainsi disparut de ce coin du vaste océan une île qui ne figure sur aucune carte.