Aller au contenu

Page:Tinayre - Figures dans la nuit.pdf/157

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
149
LÉGENDE DE DUCCIO ET D’ORSETTE

où luisait un fleuve d’argent, des collines vertes portaient des villes, des villages, des châteaux, des tours, des campaniles ; et partout, en files noires, pointaient des cyprès.

Poppi, Romène, Bibbienne, Porciano, tout le frais Casentin, toute l’enfance de Duccio, tous ses souvenirs étalés dans la douceur matinale ; et là-bas, c’était la Verne, pareille à la haute poupe d’un vaisseau penché, la Verne, avec ses rochers fendus, et son petit couvent, visible pour l’âme, sinon pour les yeux.

– Ô mon frère ! dit la Pénitente, la contemplation de cette montagne a été mon réconfort depuis vingt ans. Mes pieds ne sont pas dignes de la toucher ; mais de loin, présente à ma vue, elle me rappelle la grande faveur que le saint Père François m’a faite, par les mains très pures de ses fils. Si tu étais à la Verne, en ce temps-là, tu as connu l’histoire de la femme que les Frères mineurs ont trouvée, un matin, gisante et blessée, comme je t’ai trouvé toi-même. Je suis cette malheureuse qu’on appelait Orsette dans la cité d’Arezzo. Je faisais métier de courtisane, et – vois mon infamie ! – je regardai avec des yeux charnels l’un de ces Frères qui portaient, sur une civière de branches,