Page:Toulet - Mon Amie Nane, 1922.djvu/143

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chatoyant. Je songeais aussi à des gravures de la Restauration, où des gens d’une surprenante impassibilité, corrects de tout le haut du corps comme des notaires, quelques-uns avec un léger collier de barbe, se livrent sans abandon à une gymnastique d’intérieur. On en pourrait illustrer quelque casuiste espagnol, si tout cela ne s’intitulait avec fraîcheur : « la bonne mère », « à la couturière », « à l’enfant »...

Ma gondole, cependant, me ramenait à Hispaniola, selon ces courbes précises et molles qui en font la plus voluptueuse des voitures, et, chaudement, dans ma pelisse reconquise, je regrettais que l’hiver fît taire ces chœurs nocturnes dont la romance semble glisser et rebondir sur les eaux.

Je songeai qu’au cours d’une nuit délicieuse parmi les nuits de cet automne étrange de Venise, où nulle feuille ne tournoie, alors que l’âme, suspendue entre l’espace et la durée, est comme un éther qui jouirait de s’accroître élastiquement, et que la musique n’a plus, pour ainsi dire, de contour extérieur, ma compagne, dont le beau visage ironique, pâle et busqué évoquait Jessica, m’avait dit avec émotion :