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Page:Tourgueniev-Le Rêve.djvu/25

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Nous échangeons un regard, ma mère et moi, et nous nous effrayons de ce que nous lisons sur nos visages. Se serait-il relevé ? Serait-il parti ?

— Tu l’as pourtant vu bien mort ? me demanda ma mère à voix basse.

Je ne répondis que par un signe de tête. À peine trois heures s’étaient écoulées depuis que j’avais découvert le corps du baron. Quelqu’un l’aurait-il trouvé après moi ? L’aurait-il emporté ? C’était ce dont il fallait s’assurer à tout prix. Mais d’abord je dus m’occuper de ma mère. Aussi longtemps qu’elle avait marché avec moi vers l’endroit fatal, la fièvre l’agitait, mais elle avait pu se vaincre et garder la possession d’elle-même. La disparition du cadavre l’avait frappée comme un malheur sans remède. Fixe, l’œil hagard, elle me donnait des craintes sur sa raison. J’eus beaucoup de peine à la ramener chez nous. De nouveau je la remis au lit ; de nouveau j’allai chercher le médecin ; mais dès qu’elle eut un peu recouvré ses sens, elle exigea que je partisse aussitôt à la recherche de « cet homme. » J’obéis.

XVII

Malgré les démarches les plus minutieuses, je ne pus rien découvrir. J’allai plusieurs fois à la police ; je visitai tous les villages environnants ; je fis publier des annonces par tous les journaux ; je réunis tous les renseignements possibles. Tout en vain. Un jour, on me fit savoir que le corps d’un noyé avait été porté dans un village près de la ville. Je partis aussitôt ; mais déjà le cadavre était enterré, et, d’après les signalements, il n’était pas probable que ce fût le baron. J’avais appris sur quel vaisseau il était parti pour l’Amérique, et pendant longtemps tout le monde crut que ce vaisseau avait péri dans la tempête ; mais, plus tard, le bruit se répandit que ce même vaisseau avait été vu à