Aux relais, Polosov payait sans marchander les distances parcourues, regardait l’heure à sa montre, et distribuait aux postillons des pourboires proportionnés à leur zèle.
À mi-chemin il sortit du panier deux oranges, choisit la meilleure, la garda pour lui et offrit l’autre à Sanine.
Celui-ci, qui observait son compagnon de route, partit tout à coup d’un éclat de rire.
— De quoi ris-tu ? demanda Polosov en détachant soigneusement la peau de l’orange avec ses ongles courts et blancs.
— De quoi je ris ? s’écria Sanine : mais de notre voyage !…
— Et pourquoi ? demanda Polosov en faisant disparaître dans sa bouche tout un quartier d’orange…
— Mais c’est ce voyage qui me paraît singulier !… Hier je pensais à me trouver ici avec toi comme à me rencontrer avec l’empereur de la Chine… et aujourd’hui je suis en route avec toi, pour vendre ma propriété à ta femme, que je n’ai jamais vue !
— Tout est possible ! répondit Polosov. En avançant en âge tu en verras bien d’autres…