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Page:Tourgueniev - Eaux printanières, trad. Delines, 1894.djvu/298

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je m’en fasse un mérite, il n’y a rien là de méritoire — mais c’est ainsi, et il en sera ainsi jusqu’à ma mort. Il faut croire que dans mon enfance j’ai vu l’esclavage de trop près, et j’en ai trop souffert. Puis M. Gaston, mon gouverneur, a contribué aussi à m’ouvrir les yeux… Maintenant vous comprenez pourquoi j’ai épousé Polosov… avec lui je suis libre, tout à fait libre, comme l’air, libre comme le vent !… Et je le savais avant de me marier, je savais qu’avec un tel mari je serais une libre Cosaque…

Elle se tut et jeta de côté son éventail.

— Je vous dirai encore une chose : je ne crains pas de réfléchir un peu… c’est amusant ; nous avons une intelligence pour penser… mais je ne réfléchis jamais aux conséquences de mes actes… et quand il le faut, je me laisse aller… et ne m’inquiète plus de rien… J’ai encore un dicton favori : « cela ne tire pas à conséquence ». Ici bas, je n’ai pas de comptes à rendre… et là-haut, (elle leva le doigt vers le plafond), eh bien ! là-haut qu’on fasse de moi ce qu’on voudra… lorsqu’on me jugera là-haut, — moi, je ne serai plus moi !…