Aller au contenu

Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/16

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Bade, société cosmopolite de Paris ; car Tourguéneff n’a jamais fait autre chose que décrire avec une minutie photographique ce qu’il a vu et faire revivre ce qu’il a lui-même vécu. S’il avait eu l’imagination grossissante d’un Balzac ou d’un Dickens il aurait transformé la réalité ; s’il avait eu l’imagination historique d’un Walter Scott, il se serait réfugié « dans le passé » ; s’il avait eu le tempérament réformateur et chrétien de Tolstoy, ses livres auraient été des plaidoyers ou des thèses. Mais Tourguéneff d’une part n’a guère la faculté créatrice, comme Bielinski l’avait très bien vu dès le début ; d’autre part il est aussi complètement détaché de tout christianisme positif qu’on peut l’être, en religion il est un parfait nihiliste et même en politique il se défend de toute intention didactique. Possédant au suprême degré le génie de l’observation et de l’analyse psychologique, il se contentera de reproduire la réalité ambiante, la société et les hommes qu’il a connus.

Cette réalité ambiante, cette société et ces hommes, il les voit au travers de son tempérament d’artiste qui a reçu l’empreinte profonde de son milieu. Pour comprendre ce tempérament, sa physionomie morale, ses dissonances, ses excentricités, ses contrastes, il faut se transporter dans la Russie d’autrefois.

1. La légende s’est plu à nous représenter un Tourguéneff paterne et patriarcal, grand vieillard de six pieds de haut, à cheveux blancs et à la barbe fleurie, âme d’enfant dans un corps de géant, plein de bonhomie et d’humour, de naïveté et de simplicité. Au fond, personne ne fut moins naïf que Tourguéneff, comme Daudet et Zola devaient l’ap-