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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/171

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absurde ! cela n’a pas le sens commun ! » Le riche Finikof se mit à dire des sottises, sans discerner sur qui elles tombaient ; le talmudiste geignit, la comtesse Ch… elle-même se jeta dans la mêlée. Ce fut une cacophonie presque égale à celle qui avait eu lieu chez Goubaref ; il y manquait seulement de la bière et de la fumée de tabac, et les acteurs y portaient des costumes plus élégants. Ratmirof essaya de rétablir l’ordre (les généraux manifestaient leur mécontentement ; on entendit Boris répéter : « Encore cette satanée politique ! ») ; mais il n’y réussit pas, et un homme d’État de la classe des modérés s’étant chargé de présenter le résumé de la question en peu de mots, subit une défaite complète ; il est vrai qu’il mâchonnait et bredouillait tant, savait si peu saisir les arguments, et laissait si parfaitement voir qu’il ne comprenait pas lui-même en quoi consistait la question, qu’on ne pouvait pas espérer un autre résultat ; puis Irène excitait sous main les deux partis, les lançait l’un contre l’autre, en regardant Litvinof et en clignant légèrement de l’œil… Pour lui, il semblait dominé par un charme : il n’entendait rien, il attendait seulement que ces yeux magnifiques se tournassent vers lui, et qu’il aperçut encore ce visage pâle, gracieux, méchant et ravissant… À la fin les dames se révoltèrent et exigèrent la clôture. Ratmirof pria le dilettante de répéter sa chansonnette, et le Diamant brut rejoua sa valse.

Litvinof resta jusqu’après minuit et ne se retira