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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/177

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avait de séduisant ; il éteignit d’un coup sec sa cigarette sur le marbre de la cheminée et la lança au loin. Ses joues pâlirent, un frisson agita son menton, ses yeux parcoururent le plancher d’un air égaré et sauvage ; on aurait dit qu’il cherchait quelque chose… Toute trace d’élégance s’était effacée de son visage : il devait avoir une semblable expression lorsqu’il faisait fouetter les paysans de la Russie Blanche.

Pendant ce temps Litvinof rentrait dans sa chambre ; assis sur une chaise devant une table, et la tête dans ses deux mains, il demeura longtemps immobile. Il se leva enfin, ouvrit un coffre et y prit un portefeuille dont il tira la carte de Tatiana. Enlaidi, vieilli comme la photographie rend souvent les visages, celui de Tatiana le regardait tristement.

La fiancée de Litvinof était une jeune fille de pur sang russe, blonde, un peu grasse, avec des traits peut-être lourds, mais une expression singulière de bonté et de franchise dans des yeux châtain clair, et un charmant front blanc sur lequel semblait toujours reposer un rayon de soleil.

Litvinof demeura longtemps les yeux fixés sur le portrait, puis il l’éloigna et cacha de nouveau sa tête dans ses mains. « Tout est fini ! murmura-t-il enfin. Irène ! Irène ! » Il comprit alors qu’il était épris d’elle irrévocablement, follement : qu’il en était épris dès sa rencontre au Vieux-Château, qu’il n’avait pas cessé d’y songer. Comme il aurait été